Le Lapin
Sur la place du marché, les gens installent les stands, les barres de métal gueulent, les marchands aussi, les chiens aussi, les voisins aussi, la place gueule, puis l’église aussi (sept fois), puis le petit jour s’installe, et ça se bat pour avoir le bout de mur ou la table au soleil, tout le monde est accroché à la matinée, colériques et connaisseurs, il est sept heures du matin, la coiffeuse tape son paillasson super fort contre le mur mitoyen au serrurier qui vient voir ce qu’il se passe, que même ses machines font pas un boucan pareil, tu veux un café Pierre ? bien sûr que non, suis levé depuis l’aube ; ça sort les fruits des cagettes, ça piaille quand les petits roulent à vélo sur le trottoir : trottoir-territoire, ici, défendre son bout de gras, son bout de pierre. Ronger, longer, les murs et les branches qui dépassent des propriétés, qui donnent sur la rue et assomment les passants, citoyens couronnés, reluisants, journée Quechua et pâtisserie pour le dessert, libraire et restaurateur chinois fument des cigarettes, côte à côte, sentent la poussière et la sauce nuoc-mâm, poisson, poussière, pisse, politesse.
C’est de ça que je parle.
J’ai suivi les rails parce qu’il n’y a que ça. Des rails, des parkings en crépis et des carrefours en pavés. Ville-îlot sans réunion, ville modèle. Autour : les gares (nombreuses), la traditionnelle pharmacie, l’inévitable bar-tabac, la sensationnelle boulangerie, le supermarché-minute, l’opticien, l’agence immobilière (en fait quatre en tout, sur trois rues), la banque en face du square, derrière le logement social face à l’auto-école qui regarde les travaux de l’angle se finir devant l’épicier et l’arrêt de bus.
Il fait beau, c’est d’une douceur folle.
Pauline m’a donné rendez-vous ici, son message dit : quelque part autour de la place du marché. J’y ai pas cru tout de suite. La vibration du téléphone s’est propagée, j’ai été propulsé la tête la première. Message bref, expédié comme elle sait faire, elle a eu l’élégance