Récit (extrait)

En mémoire de la mémoire

Écrivaine

Quand meurt sa tante, dont l’appartement est alors vidé, Maria Stepanova découvre qu’il a été le lieu d’une écriture particulière : quantité d’agendas laissés à la postérité, noircis par de menus faits rapportés, mais rien sur la vie intérieure de leur auteure. « Tout montrer. Tout dissimuler. » Ainsi commence une aventure d’écriture, autobiographique et familiale, en même temps qu’un travail de la mémoire. Récits, essais, documents… l’écrivaine et journaliste s’accorde la liberté de démultiplier les approches et remonte loin dans l’histoire russe et européenne. Traduction par Anne Coldefy-Faucard, à paraître chez Stock à la rentrée.

Chapitre I

Le journal d’une autre

 

Ma tante était morte, la sœur de papa, elle avait un peu plus de quatre-vingts ans. Nous n’étions pas proches, ce qui sous-entendait une longue suite de rancœurs familiales, on ne voyait pas les choses de la même façon ; mes parents avaient, comme on dit, des rapports « pas simples » avec elle. On ne se voyait pas souvent et rien d’intime ne s’était noué entre nous. On s’appelait de temps en temps mais, avec les années, débranchant son téléphone (« Je ne veux plus entendre personne ! »), elle s’était de plus en plus retranchée dans le cadre qu’elle s’était aménagé, s’enfonçant dans l’épaisseur des choses, dans le fourbi qui avait envahi son petit appartement.

Tante Galia vivait dans un rêve de beau : rêve de réorganisation définitive des objets, de rafraîchissement des peintures murales, d’accrochage des rideaux. Des années auparavant, elle s’était lancée dans un grand nettoyage qui avait peu à peu gagné tout son logis, un processus sans fin de secouage et de tri – il fallait absolument classer, systématiser, la moindre tasse demandait réflexion, les livres et les papiers cessaient d’en être pour devenir des envahisseurs, submergeant les lieux en piles, en tas, se dressant en barricade. Elle avait un deux pièces. Au fur et à mesure que les choses investissaient l’espace, Galia déménageait de l’une à l’autre, n’emportant avec elle que le strict nécessaire. Mais le processus de tri et de réévaluation reprenait là aussi. La maison vivait en vidant ses entrailles, incapable de les remettre à leur place. Déjà, il n’était plus rien d’important et de non-important, tout comptait à un titre ou un autre, surtout les journaux jaunis, collectionnés depuis des décennies, les hautes colonnes de coupures de presse qui étayaient les murs et le lit. La maîtresse des lieux ne se trouvait désormais de place que sur le petit sofa avachi. C’est là que nous nous étions installées, au milieu d’un océan déchaîné de cartes postales et de programmes télé,


[1] Salade très prisée des Russes. Créée dans les années 1860 par le chef franco-belge Lucien Olivier, elle est de toutes les fêtes, dans tous les foyers. (Sauf mention spéciale, toutes les notes sont de la traductrice.)

[2] Un des diminutifs affectueux du prénom Mikhaïl.

[3] Il est de coutume en Russie, avant de quitter la maison pour partir en voyage, de s’asseoir en silence quelques instants, afin que tout se passe bien.

[*4] Titre du journal de l’écrivain Iouri Olecha (1899-1960). — Les notes [marquées par un ou des astérisques – ndlr AOC] indiquent des références et citations placées en fin de volume.

[**] Emprunt au roman d’Ivan Gontcharov Une histoire ordinaire
(1847).

[***] Emprunt au célèbre roman de Mikhaïl Boulgakov Le Maître et Marguerite, écrit entre 1927 et 1939.

[5] Traduction libre de Kapoustnik, émission de télévision populaire, mélange de sketches, chansons et autres.

[6] Son locataire. (Précision de l’auteur.)

[7] Rue qui comptait de nombreux services publics où l’on s’acquittait de ses factures d’eau, d’électricité…

[8] Au temps de l’Empire de Russie, entraient dans la catégorie dite « surnuméraire » des villes qui, suite à la suppression d’un district, n’avaient plus le statut de villes, avec les avantages y afférents, et n’étaient le centre administratif d’aucun territoire.

[9] Voitures de charge à quatre roues.

[10] Diminutif familier du prénom Leonid.

[11] Selon la légende, la ville de Kitej, menacée d’être envahie par les Tatars, aurait été sauvée par Dieu en raison de sa piété. Elle serait ainsi devenue invisible aux mécréants, et seuls les cœurs purs peuvent en voir le reflet, à l’aube, dans les eaux du lac Svetloïar.

[12] Domaine de la famille Pouchkine, où le poète passe trois mois à l’automne 1830, en raison d’une quarantaine imposée par une épidémie de choléra.

[13] Littéralement, « Le Canard » et « La Perdition ».

[14] Établissement d’enseignement secondaire dans la Russie impériale, dont le nom est emprunté au Gymnasium allemand.

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Maria Stepanova

Écrivaine, Poète, journaliste, essayiste

Notes

[1] Salade très prisée des Russes. Créée dans les années 1860 par le chef franco-belge Lucien Olivier, elle est de toutes les fêtes, dans tous les foyers. (Sauf mention spéciale, toutes les notes sont de la traductrice.)

[2] Un des diminutifs affectueux du prénom Mikhaïl.

[3] Il est de coutume en Russie, avant de quitter la maison pour partir en voyage, de s’asseoir en silence quelques instants, afin que tout se passe bien.

[*4] Titre du journal de l’écrivain Iouri Olecha (1899-1960). — Les notes [marquées par un ou des astérisques – ndlr AOC] indiquent des références et citations placées en fin de volume.

[**] Emprunt au roman d’Ivan Gontcharov Une histoire ordinaire
(1847).

[***] Emprunt au célèbre roman de Mikhaïl Boulgakov Le Maître et Marguerite, écrit entre 1927 et 1939.

[5] Traduction libre de Kapoustnik, émission de télévision populaire, mélange de sketches, chansons et autres.

[6] Son locataire. (Précision de l’auteur.)

[7] Rue qui comptait de nombreux services publics où l’on s’acquittait de ses factures d’eau, d’électricité…

[8] Au temps de l’Empire de Russie, entraient dans la catégorie dite « surnuméraire » des villes qui, suite à la suppression d’un district, n’avaient plus le statut de villes, avec les avantages y afférents, et n’étaient le centre administratif d’aucun territoire.

[9] Voitures de charge à quatre roues.

[10] Diminutif familier du prénom Leonid.

[11] Selon la légende, la ville de Kitej, menacée d’être envahie par les Tatars, aurait été sauvée par Dieu en raison de sa piété. Elle serait ainsi devenue invisible aux mécréants, et seuls les cœurs purs peuvent en voir le reflet, à l’aube, dans les eaux du lac Svetloïar.

[12] Domaine de la famille Pouchkine, où le poète passe trois mois à l’automne 1830, en raison d’une quarantaine imposée par une épidémie de choléra.

[13] Littéralement, « Le Canard » et « La Perdition ».

[14] Établissement d’enseignement secondaire dans la Russie impériale, dont le nom est emprunté au Gymnasium allemand.

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