Roman (extrait)

Crossroads

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Suite de nos prépublications de la rentrée littéraire étrangère avec Jonathan Franzen, bientôt au festival America. La comédie familiale qu’il construit dans son prochain roman (Éditions de l’Olivier, traduction par Olivier Deparis) a lieu dans la banlieue de Chicago. En 1971. C’est l’Avent dans la partie I, puis ce sera Pâques. Des repères religieux pas innocents : Crossroads est le nom du groupe de jeunes animé par un pasteur, qui se la joue cool. Sexe, drogue, rock’n’roll, et Dieu, en pleine province américaine, le Vietnam à l’horizon. Chaque personnage sera sondé avec soin. Premières pages inédites.

Le ciel de New Prospect, où les chênes et les ormes dressaient leurs silhouettes nues, était plein de promesses humides – deux fronts d’air gris complotaient pour apporter de la neige à Noël – quand Russ Hildebrandt, au volant de son break Plymouth Fury, effectua sa tournée matinale auprès de ses paroissiens grabataires et séniles. Une autre de ses ouailles, Mme Frances Cottrell, s’était portée volontaire pour l’aider à livrer des jouets et des conserves à la Community of God cet après-midi-là, et, bien que conscient de ne pouvoir se réjouir de cette initiative autrement qu’en sa qualité de pasteur, il n’aurait pu demander plus beau cadeau de Noël que la perspective de ces quatre heures en tête à tête avec elle.

Après l’humiliation de Russ trois ans plus tôt, Dwight Haefle, le pasteur principal de son Église, avait augmenté sa part de visites pastorales. Comment Dwight employait précisément le temps qu’il lui faisait gagner, hormis en prenant des congés plus fréquents ou en travaillant à son recueil tant attendu de poésie lyrique, Russ l’ignorait, mais il appréciait l’accueil aguicheur que lui réservait Mme O’Dwyer, amputée, qu’un gros œdème clouait à son lit médicalisé dans ce qui avait été sa salle à manger. Il aimait ces contacts réguliers avec ces gens, en particulier ceux qui, contrairement à lui, avaient tout oublié des événements d’il y avait trois ans. À la maison de retraite de Hinsdale, où les odeurs mélangées des couronnes de sapin et des matières fécales des pensionnaires lui rappelaient les latrines des hauteurs de l’Arizona, il donna au vieux Jim Devereaux le nouveau trombinoscope des membres de la paroisse, outil qui leur servait à alimenter les conversations, et lui demanda s’il se souvenait de la famille Pattison. Pour un pasteur enhardi par l’esprit de l’Avent, Jim était un confident idéal, un puits à souhaits où les pièces qu’on jetait n’atteignaient jamais le fond.

— Pattison, répéta Jim.

— Ils avaient une fille, Frances.

Russ tendit la main au-d


Jonathan Franzen

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