Le requin-baleine
1.
«Allez, un ultime effort ! » entendit-il au-dessus de lui et, levant la tête, hissé tel un vieux sac par une poignée de main d’une vigueur invraisemblable, il découvrit la tête rigolarde du chef des guides qui n’était pas fâché, visiblement, de l’arracher un bon coup à sa rêverie, et de le ramener sur terre – enfin pour ainsi dire. Car c’est ainsi qu’il passa du dhoani à la proue de gondole qui les avait convoyés du hideux terminal d’Awali, vaste gare chinoise sans âme où accostaient juste des avions et non des trains, au pont de la Maria-Luiza, ancrée un peu plus loin dans la rade.
Les conversations roulaient déjà dans tous les sens – du genre auquel on s’attend dans ces équipées lointaines : totalement impersonnelles (il ne sut jamais exactement ce que faisaient ses compagnons dans le civil, pas même où ils habitaient) malgré le tutoiement de rigueur chez les plongeurs, mais techniques, passionnées, teintées à l’occasion d’une pointe de forfanterie, mais sans malice aucune et comme une manifestation quasi humorale de leur excitation collective : sites légendaires égrenés au long de périples qui dilataient l’imagination (ou chiffonnait l’espace, selon les talents du conteur !), anecdotes savoureuses émaillées de rencontres magiques, d’espèces rarissimes, de profondeurs extraordinaires, mais aussi récits de mésaventures diverses (pas bien méchantes, puisqu’ils étaient tous là, bien vivants, entiers et solides !), sans oublier les explications détaillées, parfois comiquement interminables, des diverses fonctionnalités de tel ou tel gadget électronique ou photographique flambant neuf, déballé de son coffret capitonné sous des regards enfantins et admiratifs, et dont il n’était pas moins que les autres friand, bref, tout un bavardage joyeux quoique pas tout à fait naïf, puisque chacun, en même temps, jaugeait sans rien dire, barricadé derrière une jovialité indéfectible et très également distribuée, les compétences, les risques éventuels, voire les dangers à redoute