Récit (chantier)

Beelitz

Écrivain

C’est une bonne nouvelle que nous vous annonçons aujourd’hui : Mathias Enard prépare un nouveau livre. Aux Champs libres de Rennes ce week-end pour parrainer le festival Jardins d’hiver, il nous a confié le premier chapitre d’un récit de voyage en cours d’écriture – La Mélancolie des confins. Nous sommes dans la Marche de Brandebourg, entre l’Ouest et l’Est, entre hier et aujourd’hui, entre les vivants et les morts, sur les terres sablonneuses et tristes où l’Europe a semé la guerre.

Près de Berlin, comme nous sortions de la clinique où nous avions rendu visite à E., alors que la nuit tombait (ciel violet, violent, parcouru d’ombres et du frémissement des peupliers) et que nous marchions vers la gare de chemin de fer, un peu hébétés par la tristesse d’avoir laissé E. sur son lit d’hôpital, dans ce long hiver où elle était recluse, un vers de Blanca Varela me revint en mémoire : « Là où tout s’achève, déploie tes ailes »[1]. Cette intrusion soudaine de la poétesse péruvienne au milieu de la bruine et des arbres sans feuilles, parmi les centaines de lacs perdus entre les méandres bleus de la Havel et les péniches chargées de sable de la Spree, à l’ouest de cette Marche de Brandebourg creusée en son centre par l’enclave berlinoise, Marche où nous nous enfoncions doucement dans la nuit striée de rouge par les automobiles fuyant vers Potsdam, cette apparition brusque de la poétesse de Lima aux longs cheveux noirs me parut à la fois chargée d’espoir et de mélancolie, de promesses d’avenir et de douleurs mêlées, tout comme l’état de E. : un changement de rythme dans le fil du temps. E. se trouvait dans l’un des rares bâtiments en fonction de ce qui avait été, à la toute fin du XIXe siècle, le plus grand sanatorium d’Europe et dont le nom, Beelitz, est aujourd’hui associé aux monceaux d’asperges que produit la contrée. L’asperge aime apparemment les sols sablonneux du Brandebourg tout autant que les hêtres, les tilleuls et les résineux qui peuplent la dense forêt autour de l’ancien complexe hospitalier, coupée en quatre par la route de Potsdam et la voie ferrée de Berlin vers laquelle nous marchions en silence, les ailes protectrices de Blanca Varela au-dessus de nos têtes, grand oiseau de nuit.

Beelitz-Heilstätten est un ensemble d’une cinquantaine de bâtiments perdus dans plusieurs centaines d’hectares de bois et dont seule une poignée (y compris la clinique, moderne, où se trouvait E.) fonctionne encore aujourd’hui. On s’y promène au milieu des ruine


[1] « Donde todo termina, abre las alas », in Blanca Varela, Como Dios En La Nada (Madrid, Visor Libros, 2013).

[2] Le projet de promotion a pour nom « Refugium Beelitz Heilstätten » et se trouve dans la partie sud-ouest du complexe. Au moment où j’écris ces lignes, il reste quelques ateliers-appartements à vendre.

[3] « Es fría la luz de la memoria
Lo apenas visto brilla
Con insistencia
Gira buscando el casco de botella
O el charco de lluvia » – Blanca Varela. Nous traduisons.

[4] Theodor Plievier, Berlin, p. 210 (Flammarion, 1954, juste avant la 3e partie).

[5] Idem, p. 95.

[6] En réalité ils en comptent bien moins, d’après le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge. 56 combattants inconnus à Golzow, par exemple, 20 in Neuküstrinchen, etc.

Mathias Enard

Écrivain

Notes

[1] « Donde todo termina, abre las alas », in Blanca Varela, Como Dios En La Nada (Madrid, Visor Libros, 2013).

[2] Le projet de promotion a pour nom « Refugium Beelitz Heilstätten » et se trouve dans la partie sud-ouest du complexe. Au moment où j’écris ces lignes, il reste quelques ateliers-appartements à vendre.

[3] « Es fría la luz de la memoria
Lo apenas visto brilla
Con insistencia
Gira buscando el casco de botella
O el charco de lluvia » – Blanca Varela. Nous traduisons.

[4] Theodor Plievier, Berlin, p. 210 (Flammarion, 1954, juste avant la 3e partie).

[5] Idem, p. 95.

[6] En réalité ils en comptent bien moins, d’après le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge. 56 combattants inconnus à Golzow, par exemple, 20 in Neuküstrinchen, etc.