La sieste
Nous avons pris l’habitude, les jours non travaillés, de nous allonger sur le lit de notre chambre à l’heure du soleil. Même lorsque ce n’est pas la saison, il s’agit de l’heure du soleil. Le temps couvert, le temps d’un blanc de cotonnade, l’heure du soleil.
Nos bras se touchent. Je lui dis de faire les exercices de respiration. Je lui conseille de chercher l’aide de la lumière pour conduire sa pensée derrière ses yeux, à l’arrière de son esprit même, comme si elle passait la barrière de ses globes oculaires, enjambait une haie touffue, noire, et gagnait le territoire dénué d’os et de chair que j’ai découvert un jour que je m’appliquais à de telles gymnastiques méditatives. C’est un espace sans gravité dans lequel chaque idée qui surgit peut être rejetée pour y être dissoute, et devenir un grain infime de cette propice voie lactée. Je lui parle aussi du point à fixer, cette fois le plus loin possible en avant de la nuit de ses yeux, du couloir cosmique que cette percée ouvre et du mouvement qui s’ensuit, le long déroulé de paysages auxquels il ne faut pas espérer s’attendre, tantôt boyau bordé d’étoiles, tantôt fleuve lourd comme de l’huile, tantôt toboggan de feu, tantôt route nocturne aux arbres roux et jaunes dans les phares, lointain, lointain souvenir de départ en vacances, tantôt équipée indigène de rivière, et à nouveau navigation interstellaire et toutes les versions possibles d’une dynamique sidérale.
Nous restons là, immobiles. Aussitôt nous sommes lotis du pouvoir de bouleverser le temps, dans un seul sens cependant, et nous avons aussi bien notre âge, cent onze ans à nous deux, que quatre-vingts années chacun. Le temps se condense dans la mesure de l’habitude prise, un instant et une éternité. Je pense à ces couples de vieux, juifs et allemands, qui se sont couchés côte à côte dans leurs habits convenables, après avoir allumé la gazinière, plutôt que de partir. D’où vient cette image ? Je sais que c’est, étrangement, arrachée au désespoir qui devait êtr