Poésie

Prochaine phase de jeu

Écrivaine

« Tu me dis que la version américaine du football est un jeu de gagne-terrain et de possession. » La passion amoureuse, chez Diaty Diallo, c’est aussi intense que chez Racine. Mais avec plus de sexe. On a découvert la musique et le rythme de cette jeune écrivaine dans Deux secondes d’air qui brûle, son premier roman paru à l’automne dernier. La nouvelle-poème-chanson inédite d’aujourd’hui prolonge les réjouissances.

Je sais pas mon gars,
si je préférerais pas,
ah gars,
te penser.

Penser à toi, t’observer de loin, plutôt que de te savoir.

Plutôt que de voir où ça va.

Plutôt que de savoir où tu vas.

Plutôt que d’aller avec toi.

Te voir de loin, t’avoir en pensées plutôt que de savoir que tu ne me sauras, moi, pas.
Que tu ne voudras jamais me savoir, moi, moi.

Je ne sais pas,
ah gars,
si je ne préférerais pas
ne pas te connaître,
(si je m’y mets, si je dégaine, je peux t’abattre.)
Et je sais déjà que toi, toi, là, tu ne chercheras jamais à me savoir, moi, moi, moi.

Ah ça non.
Je sais, je connais.

Tu,
préféreras rester sur cette idée que tu as de moi. Une personne vaguement jolie avec des cheveux. Tu,
aimeras mieux l’esquisse. C’est,
pour ça qu’on croque avant de dessiner vraiment. Tu,
aimeras peut-être même mieux encore ce qui la précède : l’idée. Celle,
de tirer sur mes cheveux pour me faire m’asseoir devant toi.

Et tu,
Croqueras, croqueras, croqueras – tu t’essayes.

Tous ces traits qui t’entourent la taille.
Mes cheveux par poignées, brouillons,
tu me gardes au seuil de ta fiction.

 

 

Tu me demandes un jour. On regarde Friday Night Lights sur mon ordi, tu me demandes ce que je préfère, quoi, je préfère quoi. Tu me dis « Hey ma belle, tu préfères quoi, être ma femme ou la femme du coach ? » Je réponds rien car je ne sais pas. Je ne pense pas vouloir être ta femme, je m’imagine plutôt en icône passionnelle. J’aime l’idée d’être la femme du coach, ou son gourou sexuel.
Dans les quatre cas, il faudrait que je m’implique un peu.

 

 

Déjà à la base t’existais rien du tout.
J’avais de la place sous l’os de mon crâne.
J’avais de l’air dans mon hippocampe, putain c’était carré, j’allais bien.
J’avais pas d’addiction humaine. Que des addictions non-humaines, des basiques, des concrètes, comme toi : une cousue, un shot de rhum par là, ça va mieux.
Des addictions logiques pour quelqu’une d’heurtée comme moi, d’un peu child, d’un peu ouin-ouin.

Avant.
Je me levais sans pensées.
Je me levais sans penser.

Une putain de liberté, tu sais pas toi.
Je me levais, je pensais Besoin, des choses comme ça.
Je me levais je pensais Bof, des choses comme ça.
Des choses très basiques en fait.
Je me levais, je pensais Eau, je pensais Euh.
Je me faisais agresser verbalement par un chat en me levant.

Quand je me levais et que j’allais mal, je mettais une main sur mon front, de dépit, ou sous mon menton, d’ennui. Je mettais en scène ma sidération pour pouvoir écrire dessus. C’est ce que font les artistes.
Quand je me levais et que j’allais bien aujourd’hui, je me faisais des clins d’œil dans le miroir.
Quand je me levais, je pensais au moment de la douche, à l’eau glacée dont j’arrose mon corps pour raccorder son épiderme à l’âme juste en dessous.
Chaque matin, quand je me levais, je pensais à mes endorphines en vérité.

Je me levais, je pensais Ciel gris, je pensais Madeleine, je pensais Trois madeleine et un thé à la menthe, je pensais à mon ventre, je pensais à mon corps lyophilisé par ces nuits de sommeil dont je ne me souvenais que de la sueur transpirée.

Avant toi,
avant que tu apparaisses dans l’histoire que je me raconte, j’allais bien, je me levais sans pensées, sans penser.

Je me levais en pensant à ces journées qui n’en finissaient pas de s’emmailler les unes aux autres.

Je ne pensais pas. Je ne pensais rien.

Je pensais que je ne me rappelais jamais des dates, ni tellement de ce que j’avais fait la veille.
Je savais juste qu’il fallait filer droit.
Je pensais Regarde ton agenda ma chérie, puis j’oubliais de le faire.
Je pensais que rien ne changerait jamais vraiment, que rien n’avait jamais vraiment changé. Je pensais au démarrage, au décollage, au départ, au commencement, à la genèse, tout ce qu’on veut.
Que tout ça n’arriverait pas.
Que l’attente était vaine.
Je pensais qu’on avait tort d’attendre que ça démarre puisque ça avait démarré depuis belle lurette, depuis notre expulsion du corps d’une personne, en fait.
Je pensais aux Projets de vie.
Je pensais à mes non-enfants.
Je me disais que j’avais bien fait de pondre un bouquin, que ça me permettrait de justifier mon trajet en vieux loup de mer pendant encore quelques mois.
Je me demandais si je pouvais faire de mon existence un dossier. Je me demandais s’il fallait que je fasse de mon existence un dossier. Je me demandais s’il me faudrait pondre un bilan, de fait, calmement.

Je pensais à sortir du nucléaire.

Je pensais que j’étais folle, je le pense toujours.
Dans les recoins de la médecine occidentale, on le pense aussi.

Je pensais à mes draps, je me sentais honorée qu’ils m’hébergent chaque nuit comme ça sans rien demander. Putain, je me sentais chanceuse.

Avant.

Je me sentais vide, mais un vide plein.
T’as capté ? Un vide, mais plein.
Ça veut dire : tu sais que c’est vide, mais la matière qui pourrait venir combler le trou ne te manque pas. Tu vois ?

Là maintenant j’ai comme un petit creux quelque part. Un creux vraiment vide.
Que j’ai besoin de remplir avec ce qui pourrait venir de toi dans moi.

Avant toi j’avais des pensées basiques : des pensées claires et des pensées sombres.
J’avais pas de pensées, je réfléchissais comme animale.
Une pensée spectrale en nuances qu’on ignore.

Et toi, toi,
t’as rajouté un camaïeu de cul dans mes pensées.

Avant toi, je ne pensais à rien, à aucun objet.

J’en avais rien à foutre de ne jamais penser à rien d’autre qu’à filer droit. Maintenant, quand je me lève, je pense à toi qui te déboutonnes.
Je pense à tes chaussures, des choses comme ça, je pense à tout ce textile qui entoure ton corps nu, je pense à la couleur de ta peau et sa texture dont on dirait qu’elle n’a jamais connu autre chose que de l’eau douce et des hivers à Los Angeles. Je pense à des gouttes de ta salive qui s’évaporent sur mon dos et mes joues.

Eh ça n’a rien à voir avec l’amour, hein ! Commence pas.
Je crois que c’est juste ça une vraie pensée : c’est une pensée de cul.
Une vraie pensée est une pensée de cul.
En continu. Une vraie pensée est une pensée de cul, en continu.
Du cul en continu.
Du cul en continu, de la danse et des braises, une chanson qui fait boum dans un appartement, le souvenir de sound systems quelque part dans la Villette, une anecdote en milieu urbain de type Souviens-toi sous ce pont bb, de ce type qui klaxonnais sur nous par envie de toi bb.

Ton apparition en forme de BO.

La BO de ton cul,
en continu.

 

 

« Non mais je veux dire, tu préfères quoi, tu préférerais quoi, plutôt quoi, être la femme du coach ou être ma femme
être ma femme ou être la femme du QB1, tu préférerais être un ballon ou la femme du ballon ? Ou, ou, ou tu préférerais être la femme du running back, ohohohoh oui je touche au but là, c’est ça que tu voudrais, le running back, être la femme du running back ou être la femme du coach, la femme à qui ? Celle du supporter ou ta femme à toi, ta propre femme, tu préférerais être ta femme avoue, la femme à toi-même ! »

 

 

Tu sais quand t’es sur mon canapé, il faut que tu le quittes. Tu le vois bien qu’il n’est pas adapté à ta taille. Tu n’as rien à faire là, tu es trop grand pour ce meuble. Ça me fout le vertige.

Tu sifflotes du Cocoa Tea. Tu sifflotes. Tu me montres une photographie sur ton portable, c’est toi sur le chemin vers la salle de sport. J’imagine une circonférence pour ton bras.

Elle m’achève. Elle gagne.

 

 

« La femme de la fanfare ? la femme du trompettiste ? la femme de la cheerleader ? Tu, préférerais, tu, tu, préférerais, attends, attends, j’en ai une, j’en ai une bonne : tu, toi tu préférerais que je sois ta femme ou la femme du coach ? Tu préfères que je sois la femme du coach ou être toi, la femme du coach ? Tu préférerais que je sois toi ? Voudrais-tu, non mais dis-moi vraiment, voudrais-tu que ta femme soit la femme du coach ? Tu voudrais peut-être que je sois moi la femme de la femme du coach ? Allez dis-moi, hey ma belle, joue-le, le jeu que j’ai inventé pour toi, joues-y ! »

 

 

Quand t’es sur mon sol,
je ne suis pas prête, j’ai pas anticipé, alors je ne fais rien.
J’ai pas chorégraphié. Alors je ne fais rien. J’avais dit que je ne – enfin tu avais dit que tu ne, alors j’avais dit que moi aussi je ne – ferais rien, alors je ne fais rien.

Je suis une go de parole.
Quand je dis que je ne mets pas mes mains quelque part, je ne les mets pas.
Pas comme toi.
Avec ta belle tête sans convictions. Tête de ballon.

Alors je ne fais rien.
Et il faut, là tout de suite, quand tu es sur mon canapé et qu’il faut que tu le quittes mais qu’avec mon vertige je ne te dis rien ; ton trop grand corps sous mon petit toit ;
il faut,
que je me concentre.

Go de parole : je suis concentrée. Dans ma tête ça ordonne. Dans ma tête ça parle mal. Ça distribue des consignes, ça secoue le bon sens, ça gueule, ça dit des trucs à moi-même comme T’as aussi peu de courage qu’un mauvais prédateur. Dans ma tête ça part en insultes à moi-même, ça se gare partout et n’importe comment. Dans ma tête c’est un jour de marché, on y vend des légumes et des slips. Dans ma tête y’a plus de respect pour moi par respect pour toi.

Je me concentre
Je me concentre
sur ma concentration, je me concentre.

Tu es sur mon canapé et je veux que tu t’en ailles.
Je ne fais rien pour que tu te sentes à l’aise, sinon tu vas rester et j’aurais à te toucher.
Je ne te donne pas à manger. Je ne te nourris pas.
Je ne te mets pas de musique. Je ne te divertis pas.
Tu es sur mon canapé et je veux que tu t’en ailles.

 

 

Tu me parles des différents corps qui supportent le corps de l’athlète sur un terrain. En dehors du terrain.
Tu me parles des différents corps qui supportent le cœur de l’athlète pour qu’il puisse parcourir le stade.
Tu me parles de tout ça, des différents corps qui supportent, d’autres corps, d’autres cœurs, d’autres esprits, d’autres cerveaux.

Tu me dis que la version américaine du football est un jeu de gagne-terrain et de possession. Dans tous les cas, il faut garder la balle jusqu’au bout, au but. La transporter vers la zone de fin. The end zone. Tu me dis « Hey ma belle, c’est le quaterback qui dirige l’attaque, il doit savoir lire le terrain pour pouvoir donner des stratégies à ses gars, il doit savoir où est chacun, tout le monde pense que c’est le dieu du stade, mais pas moi ».

 

 

Tu as fini par partir.

Tu es parti de chez moi et tu,
es revenu me visiter dans mon sommeil.

Tu

Tu,

Dans mon rêve tu,
achètes des chips dans des épiceries, avec du sprite aussi, qu’on ne boira jamais.

On marche dans la rue, tous les deux, on marche, on marche, on marche. Tu es grand à côté de moi qui suis de taille normale, tu possèdes le visage que je te connais. Je ne me souviens pas de comment résonne ta voix, mais ce que tu dis est marrant.

Tu possèdes la fraîcheur que je te connais.

On marche pour aller nulle part.
On s’arrête parfois quand on voit des épiceries.

Et toi tu pénètres les endroits pour y faire des emplettes puis tu en ressors avec des sacs plastiques blancs ou des sacs plastiques noirs, des sacs dans lesquels le commerçant a rangé des paquets de chips et une bouteille de sprite.
Tu dis à voix haute depuis le visage que je te connais Eh mais je peux pas sortir d’une épicerie sans avoir acheté de l’alcool ma belle, ça s’fait pas d’aller dans une épicerie, tu prends des trucs comme des chips, tu prends différents trucs, comme des chips, tu prends tout plein d’articles comme des chips et autres, et à la fin tu repars sans rien, rien, sans canettes, rien, pas même un flash, eh ma belle ça s’fait pas ça non, rien, chips, R ?

On continue de marcher.

De toutes les façons, ni tes chips et ni ton sprite, on ne cherche vraiment à les consommer.

On monte chez toi, ton appart est rempli de paquets de chips. Plein de paquets de différentes tailles, de différentes marques, avec différentes saveurs de chips, avec différentes cuissons de la pommes de terre et il est parfois indiqué dans quel type de récipient elle a été cuite, la pomme de terre. Parfois au chaudron. Il y a des chips vraiment super raffinées avec des couleurs belles gosses comme le violet et tu as aussi entreposé des chips prolétaires comme des chipsters même si je sais pas bien si on peut dire d’elles qu’elles sont des chips, ouais, vu qu’il s’agit de pétales soufflés.
Tu me sers une pinte de glace avec le distributeur de glace de ton frigo américain. Tu me dis Je vais te servir une pinte de ice
bb.

Tu habites au-dessus d’une librairie qui ressemble à une librairie américaine.
Un bookstore.
Qui ressemble à une librairie qui pourrait faire partie du décor de You. La série You.
Ton appartement est d’une taille conséquente, il y a ce frigo américain, il y a de nombreux couloirs.
Et puis d’un coup je t’entends ou je te vois ; je ne sais plus bien si tu me tues et si c’est moi que tu veux tuer ; mais je comprends que tu batifoles dans une pièce à côté, sûrement ta piaule, avec autrui tu batifoles et quand j’y repense, je me sens trempée comme une chienne sous la pluie. Inondée comme un client qui patiente pour sa conso à l’extérieur d’un hall un jour de grève et d’orage.
Je comprends qu’indéfiniment, dans ce rêve, j’aurais le mort. Je serais :
contrariée.

 

 

Je te demande,
qui est le dieu du stade ?

« Y’a pas de Dieu dans le stade, hey ma belle, il est là », avec ton doigt tu me montres la tempête qui remplace mon plafond au-dessus de nous.

 

 

Et quand je me suis réveillée tu sais, je ne l’avais plus.
Le mort. Je ne l’avais plus.
Contrariée, je l’étais moins.
Et je ne sais pas si,
j’ignore si,
si c’est parce que soulagée j’étais que toutes ces chips soient d’immatérielles chips et que tout ce sprite soit un mirage,
ou bien,
si c’est parce que,
soulagée j’étais de compter en moi encore, quelque rigueur intellectuelle suffisante pour savoir que chaque jour, à chaque seconde, ton corps n’appartient à nul autre qu’à lui-même. Pas à moi, à toi.

Pourtant, j’ai envie de te posséder comme on se convainc qu’on possède un chat.
Pourtant.
J’ai envie de te poursuivre comme les enfants courent derrière des bulles de savon géantes soufflées par des intermittents du spectacle sur toutes les Grand-Place de toutes les municipalités d’Europe.
En fait j’ai juste envie qu’on erre ensemble dans les rues de n’importe quelle ville du monde mais en été.
J’ai pas envie que tu viennes me chercher dans le brouillard, quand t’es là y’en a pas de toutes les façons. Puis y’a rien à sauver.

En fait, j’ai envie de te voler ton ballon, et de te le lancer sur ta tête.
Tu m’as gaminé l’esprit. J’ai envie de diablotiner.
J’ai envie de faire Mihihi dans ton oreille, j’ai envie que ce soit mon nouveau rire.
J’ai envie de tirer sur un seul de tes cheveux
et mordre dans ta main.
J’ai envie de jouer à chat-bite.

Surtout à chat-bite.

 

 

Je te dis « tu sais moi, je crois que personne ne m’a jamais vraiment aimé jusqu’au bout de moi, je suis une déception ».

 

 

J’avais ton cul dans mes veines. Il voguait sur les flots dans mes vaisseaux.
Il flossait,
fort,
dans mes artères ;
faisait rum-pum-pum-pum le long de mes capillaires.

Ça twerkait partout au calme
sous mes paupières
la nuit.

Mon cœur, je sentais mon cœur,
battre la nuit.

Mes globules rouges avaient la forme de toutes petites verges.

J’étais habitée par ton cul. Pardon, c’est un mauvais jeu de mots.
J’étais habitée par l’idée de t’avoir, de te prendre, de te receler.
J’étais habitée par l’idée de te consommer.

J’étais
concrètement en train de virer de bord
moi.

J’étais
clairement en train de muter.

Je
prenais un grave tournant capitaliste.

Fuck

Dans mon rêve de toi, j’ai compris qu’il fallait que je te déshabite.

Ma peau me brûlait, sous les draps qui avaient déjà ton odeur. Ma peau me brûlait.
Particulièrement là où elle contournait des éléments de mon physique, où elle délimitait. Comme mes yeux par exemple.
Comme mes différentes lèvres mais c’est presque grossier de l’écrire.
J’avais des larmes encore, qui venaient d’une blessure profonde, si profondément insurmontable. En provenance d’un lieu baptisé par le déni.

Ça me brûlait autour des yeux, des globes, globes, le sel formait des graines en séchant.

Je pensais à des racines, des ramures, je pensais à un arbre fait de sel. Il y avait des souvenirs anticipés de tes cheveux qui ondulent et cette pensée obsessionnelle de toi en train de se former en rêve, enfin.
Je l’attendais ce rêve,
bb

 

 

Tu me dis « La version américaine du football est un jeu de gagne-terrain, hey ma belle, c’est comme dans le réel tu sais, y’a un nombre de tentatives limitées par tranche de vie, ce que je veux dire par là, c’est que j’ai pas toute la mienne pour te dire oui, j’ai à faire, j’ai first down, second down, third down, et avant de forth down, j’me suis donné un temps mort, deux temps morts, trois temps morts, quatre temps morts puis j’ai recommencé, j’ai progressé par la course et par la passe, mais je sais pas si j’ai envie d’explorer ta end zone, j’aurais tiré si je m’étais senti suffisamment proche mais maintenant je sais plus bien si j’ai envie d’aller jusqu’au touch down, la toute possession de toi, t’emmener avec moi jusqu’à la fin, jusqu’à la toute possession de toi,
alors que ma parole t’es trop bizarre, tu fais que glisser entre mes mains, tu me donnes rien, et je ferai pas de stratégie, je suis pas ce genre de gars.
De toutes les façons personne ne se bat pour t’avoir alors dis-moi, hey ma belle, contre qui je joue seulement ? »

 

 

J’comprends pas l’comment du pourquoi
Tu m’intéresses, tu m’intéresses
Sûrement pour une photo postée sur internet, sur internet

 

 

Poses-tu seulement ?

M’as-tu mise dans un tiroir que tu tireras seulement pour le fouiller, le retourner, et n’y saisir rien d’autre que des choses que tu reposeras sans les ranger ?

Tu me fais peur.
Es-tu ou poses-tu ?
Non, tu es. Tu poses, clic. Tu ne poses plus. Tu n’es pas en retard, tu te déplaces avec ta propre vapeur. Les choses qui te traversent tu les dis. Comme un enfant. Tu oublies ton téléphone. Tu les dis, tu les dis, tu les dis. Tu gamines. T’es là, t’es là, t’es là. Pour toi une heure est une heure. Si c’est après l’heure…

Et je le sens bien, que tu vas me faire des dingueries jusqu’à mon dernier souffle.
Je connais, je reconnais ton petit manège.
J’ai du vécu.
Comme les aiguilles d’une montre, les petits manèges tournent pareil partout.

 

 

Je te dis « hey mon beau, dis-moi, tu ferais pas plutôt partie de l’équipe spéciale toi ? » Je baisse mes lunettes de tempête pour te regarder en biche, je te dis « dis-moi, t’es plutôt quoi ? offensif, défensif ? tout ça à la fois ? t’as cinquante-deux autres garçons en toi ? rien que ça, ah gars ! Une cinquantaine de toi en toi ». Je te dis « je veux être le ballon dans des bras de running back moi, bb, il faut que tu me dises si je suis une balle ou si je suis ton adversaire ».

 

 

Hier je crois que j’ai crisé.

C’était trop.
Trop.
Trop, le travail, trop, le boulot.
Trop, mes sentiments trop, j’étais démontée, fulgurée par mes émotions, c’était trop, trop, j’étais comme,
comme terminée par

Je suis montée trop haut
Je pleurais tel l’enfant
J’avais
mal
J’avais
peur
J’étais
Calme
quarante-cinq minutes
J’étais
crise,
crise, pendant des
demi-heures.

J’étais assiégée de l’intérieur par le besoin de fuir.

J’étais gosse.

 

Cernée par le boulot, j’étais.
inondée par le boulot, je me sentais
submergée par le boulot,
j’avais l’impression qu’il n’y avait aucune issue,
aucune issue que le boulot,
j’avais l’impression,
oh child,
que j’allais clamser,
que jamais je n’allais ni m’en sortir ni pouvoir remonter à la surface,
tout s’était tellement accumulé.

Je criais au téléphone et pleurais comme une enfant avec des petits hoquets.
Je faisais de longues pauses assez dramatiques.
Je faisais de longues pauses pour te montrer que je ne trouvais plus mes mots. Qu’il n’y avait pas un seul mot, pas un, pour qualifier ce que je traversais.

Que c’était pourtant mon métier quand même, que de remplir des dossiers de subvention, et que, pourquoi je n’y arrivais pas quand il s’agissait de mon propre travail ?
Quand mon propre travail, à moi, c’était moi, c’était ça, la chose à nourrir.

Ça dit tout.
Ça. dit. tout.

Je hoquetais fort, un drame.
Pauvre moi. D’y repenser j’ai envie de me tapoter le crâne doucement.

J’étais malheureuse de me sentir, de me voir zoner, au fond d’un gouffre.
J’évoluais sans munition !

Je chialais, je tremblais, je me jugeais sévèrement. Et parfois, une certaine compassion vis-à-vis l’épave que j’étais sur le moment, revenait.

Je chialais je l’ai peut-être déjà dit.

 

En chiale, j’ai posé mes mains à plat pour faire le point et j’ai compris plusieurs choses :
qu’au fond la surface c’était rien.
Qu’au fond la surface c’était toi.
Que tu n’étais rien,
rien d’autre qu’une singularité en surface.

J’ai compris,
que tu n’étais qu’un symptôme,
et que d’une certaine manière ;
d’une manière étrange ;
comme un symptôme ;
tu m’avais indiqué un chemin,
un chemin vers mon corps, comme une connexion.
Tu m’avais rappelé qu’il était en vie.
Tu m’avais rappelé qu’il cesserait d’exister.
Comme un symptôme, tu ne servais peut-être à rien d’autre qu’à m’informer.

Tu étais sûrement voué à disparaître.

Mais s’il te plaît, ne t’en vas pas.
Je ne me soignerais pas.

 

 

Tu me dis « je suis en lutte contre toi, je te veux sans te vouloir, hey ma belle, je te veux juste pour que tu me veuilles en fait, en fait je te veux pas, je veux juste sans le te, sans le toi, je veux juste. Je veux que tu brûles, que tu crames, je veux juste, je veux, je veux, je veux juste pouvoir t’éteindre avec des gouttes de ta salive sur mes doigts, pshiiit ».

 

 

On m’a retrouvé, j’étais cassé, baby
Y a quelques bricoles à faire
La carapace est intacte, le cœur est accidenté
Zéro nuance de gris

 

 

J’ai compris que tu n’étais qu’un symptôme,
et que de ta surface tu me tirais vers le fond
et que du fond je te tirerai vers moi,
bb

Que c’était ce pourquoi je me devais de prendre cette décision,
de nouveau
je me devais
de disparaître.

 

 

Je te dis « alors d’accord, alors dis-moi comment je pars, alors, comment t’affronter, dis-moi, indique-moi, dis-moi comment et d’où je pars, dis-moi, dis-moi comment je te fuis, dis-moi comment je te fais face, dis-moi ». Je te dis « dis-moi, comment je fais, dis-moi comment faire mon départ, dis-moi je le fais comment, dis-moi comment je pars. Dis-moi à combien, dis-moi, à deux, combien, à trois, combien, à quatre pattes ? à combien de pattes, dis-moi, dis-moi, dis-moi si c’est à quatre pattes que je dois partir. Dis-moi. Si je pars à quatre pattes, dis-moi. Dis-moi si c’est à quatre pattes que je dois partir. Dis-moi ».

 

Gaëlle Obiegly, Mon prochain, Verticales, 2013
Laylow, Pk tu m’intéresse, Digital Mundo, 2018
Booba, BB, Tallac Records, 2018

 


Diaty Diallo

Écrivaine