Les dépositaires
J’ai reçu de ses mains le petit livre ; la couverture de celui-ci est rouge sombre et a le toucher cartonné du papier journal si bien que j’imagine souvent sa couleur dégorger sur mes doigts moites. À lire ce livre en le tenant d’une main, à le lire avec toute l’intensité qu’il suscite en moi, j’imagine que mes doigts finiront eux-mêmes rougis et que la couverture, elle, portera les traces de ce contact : des auréoles claires comme s’il avait plu sur elle. Alors que je découvre les textes que le livre réunit, ce processus de dégorgement, d’imprégnation mutuelle se propage : comme mes doigts endossant le rouge de la couverture, l’amie donneuse du cadeau devient à mes yeux l’autrice du livre. Les deux femmes se superposent en une même entité. Dans ce qui est dit là dans le livre, détaillé, les propos de l’autrice, précis et fermes, lumineux et doucement tristes : je reconnais la pensée de mon amie, et aussi dans la subtilité des raisonnements, la hauteur de vue.
Avec ce livre, qui regroupe des textes à la première personne du singulier et donne à lire des réflexions personnelles, au plus près de ce qui tremble, qui vit, de ce qui peine ou qui réjouit, je peux aussi habiter les silences de mon amie. Car mon amie parle et se confie avec facilité mais, toujours, à l’écouter, je pressens qu’elle cache un peu. Quelque chose, ou bien du moins une partie de ce qu’elle livre. Elle choisit ses mots avec précaution. Elle ne dit jamais ce qu’elle ressent d’excessif, d’incontrôlé. Je ne lui connais pas de moments où elle s’éloigne de la sagesse, de cette drôle de sagesse qui n’est qu’à elle et qui, à mes yeux, a fini par constituer une carapace protectrice autour d’elle. On pressent pourtant que cette sagesse s’est construite grâce à tant d’expériences – des expériences de tout ordre, vers toutes les limites et bien au-delà. Mais maintenant, avec un respect fort de ce qui se dit et de ce qui ne se dit pas, mon amie, lunaire et douce à la fois, se fraie un chemin fin comme sur des