Roman (extrait)

Hêtre pourpre

ÉcrivainƎ

« L’un des enjeux de Hêtre pourpre est de déconstruire la binarité de genre véhiculée par la langue », écrit Rose Labourie dans la « Note de la traductrice » placée en tête du premier roman de l’écrivainǝ suisse Kim de l’Horizon, à paraître chez Julliard. Défi pour la traduction, la « langue de mer » mêle l’allemand, le dialecte bernois, et même l’anglais traduit par Deepl, invente une généalogie maternelle et sorcière, fait parler les corps à travers d’autres « voies/x ».

Les mains de grand-mer

Les mains de grand-mer étaient des bêtes. Elles étaient perpétuellement en mouvement. Leur agitation fébrile en faisait des souris, des souris sans poils, avec de la peau, de la peau rugueuse comme de l’asphalte craquelé. Leur forme en faisait des araignées, de petites créatures pleines de pattes au dos rond ; prisonnières de leur corne, elles cherchaient sans relâche à sortir de grand-mer, tâtonnant comme des aveugles qui viennent de perdre la vue. Elles attrapent des patates qu’elles épluchent avec avidité. Empoignent la petite cuillère à moka pour pelleter du sucre dans la tasse de café – oui, ce mouvement relève du coup de pelle. C’est un mouvement étranger à la petite cuillère, comme si grand-mer s’était directement inspirée de la récolte des patates pour pelleter des cristaux de sucre. La moitié des petits cristaux atterrit systématiquement sur la nappe à carreaux rouges et blancs. La petite cuillère à moka : un objet qui ne parle pas la même langue que ces mains. Les arabesques et fioritures qui ornent son manche avec un raffinement grotesque. Superflu. Devant un Disney où une Parisienne gantée, d’un geste sophistiqué (avec le pouce et l’index, le petit doigt en l’air), plonge une petite cuillère à moka dans une tasse à thé, j’ai pris conscience de l’écart. Du fossé entre grand-mer et le monde auquel j’aspirais. Grand-mer chopait la petite cuillère à moka de tout son poing. Ses articulations renflées par l’arthrite me rappelaient les ronces ensorcelées dans La Belle au bois dormant de Disney. Ces renflements noueux. Cent ans d’ankylose.

Je me souviens que les mains de grand-mer rentraient en moi. Dans mon souvenir, les mains de grand-mer sont complètement seules face à elles-mêmes : elles ne cessent de s’empoigner l’une l’autre, de se cramponner l’une à l’autre, elles cherchent sans relâche, cherchent quelque chose à tenir, attrapent mes jambes d’enfant et mes bras d’enfant et les caressent sans merci. Je ne me souviens pas de mes jambe


[1] Dans la suite du texte, la langue de mer a été librement traduite en s’inspirant de différents dialectes, suisses ou autres. (N.d.l.T.)

Kim de l'Horizon

ÉcrivainƎ

Notes

[1] Dans la suite du texte, la langue de mer a été librement traduite en s’inspirant de différents dialectes, suisses ou autres. (N.d.l.T.)