Poésie (extrait)

Au bord du ciel

Musicienne, artiste, poète

On la connaît par CocoRosie, le groupe psychédélico-electro-folk qu’elle forme avec sa sœur Sierra Casady, et qui s’est illustré par leur collaboration avec Bob Wilson (The Jungle Book étant la dernière en date). Mais Bianca est aussi poète. Son prochain recueil, le premier traduit en français, paraît bientôt en cette rentrée (Au diable Vauvert, édition bilingue, traduction de l’anglais par Ileana Garza Terán). Une poésie folk elle aussi, baroque, incantatoire.

 

1

(brutalement fleuris
grimace de mépris, contre
par cette lumière obscure gardés
condamnés punis
à vie enfermés)

Oh sans fin
champ de caveaux sans marque
oh sans fleur
sauf pour ces fleurs de démons
sauvageant à la lune
nées des crânes d’hommes
depuis combien de temps
l’air cassé par le cri de naissance
premiers halètements urgents
auparavant pris
pour acquis ?

Laisse-moi recommencer
l’aveu du vent
comme il déroba les feuilles d’été
et blâma l’automne
il n’y a rien à pardonner
car les saisons n’ont pas de péchés
tous les péchés sont morts
avec la chute de l’homme.

Papillon
qui suis-je ?
c’est difficile à dire
mort ou vivant
j’ai envie
d’avaler une allumette
et devenir
un avec le ciel

je dérange à peine les oiseaux
ça me dérangerait, pas
la compagnie d’un corbeau
j’ai dit une fois
les corbeaux peuvent être mes yeux
dans un poème d’il y a longtemps
où j’étais aveugle
boutons et foin
j’étais ici avant
traîné cette poupée raguée
dans une pièce de théâtre cherchant le Ciel
le chemin pour y aller
ou du moins
la Mer
le miracle
d’elle.

 

 

2

Je suis
qu’un tas d’os
emmêlé dans un vol sans but
tâtonnant pour la rose
à minuit d’hiver
mon sens de foyer
inodore comme la neige
j’attends le cri
de l’oiseau du temps
pour dire mon bateau d’étoiles
a dérivé déjà
sur la fin de la mer
pour me rendre
au vide (infini)
l’île sous mes pieds
s’enfonçant dans l’éternité
sur mon chemin du non-être
le cheval dormant
en vers silencieux
m’a dit
ça y est
il est temps d’embarquer
le bateau lunaire
glisse, sans racine
sans regrets.

 

 

3

Si pouvais capturer
je ferais
la durée de vie d’un
papillon dans
la paume de ma main

un peu de neige fondante
dans une cuiller en étain
une petite lune
là reflétant

mes lèvres devenues aveugles
elles ne pouvaient plus dire
pluie de lait
miel, quelque chose de senti

et en dedans
la rose éternelle
défanée
dans l’hiver
de mon âme.

 

4

Mort c’est mort
pluie c’est pluie
sang c’est sang
cheval est mort
mer est calme
poussière c’est poussière
poussière est morte
rose…
un miracle
boue c’est boue
sèche ou moue
bois est bon
fait maison chaude
fantôme c’est fantôme
fantôme pas bon
si elle est attrapée
dans la toile d’araignée
cœur creux, mes
années déchagrinées
peignant ses cheveux
comme les miens
mourant encore et encore
et encore
appelant au Christ
parce qu’elle l’aima
ne cuisez pas du pain, nous
l’avons jamais fait

le rêve disait :
elle a essayé de se pendre
elle-même trois fois
je suis le gibet
je suis les oiseaux
je suis le tombeau
ce sont juste des mots.

 

5

Est-ce que je dois la chasser ?
comme le vent qui pousse
les nuages rembourrés de pluie
pour se vider d’eux-mêmes
ailleurs
quelque prairie en fleurs
quelque caveau impleuré

je n’ai pas, ne vais pas,
peux pas arrêter
d’être le cercueil
grinçant faiblement
en dessous de son poids

je me suis gardé froid
pour qu’elle ne pourrisse pas
la chambre de décembre
je l’appelle.

 

6

Sanpoids, oh sois
destiné au Ciel
mer de lune
lune de mer
le bateau éternel
glisse de l’ancre
se balançant libre
se fait corps désossé
la bouche creuse, si pitié
porte une rose éclatante
blanche, se tordant haut
contre le noir strié d’étoiles
la voie céleste taillée
par le fleuve invisible
la mort dit : va de l’avant
sois liquide
mercure ou argent
sois défait
et sois préparé
pour un miracle.

 

7

Quand tu verras la fumée
au-delà des champs fanés
tu sauras que je reviens enfin
pieds nus comme j’étais venu
poches vides ou remplies de sable
bouche pleine de cendre
appelant encore une rose

lune dans l’eau
me voyant partir
j’essaierai de ne pas réveiller le dragon
qui dort dans les profondeurs silencieuses
destiné au Ciel je suis
sans la gravité du péché
flottant, yeux ouverts
avec une couronne de papillons
sur ma tête.

 

8

Regardant du dedans
les champs enneigés
à peine plus
éclairés par l’aube, fumée bleue
gelés à fond
os tournés en lait-glacé
je vais
me promener
parlant à l’étoile raguée
ensevelie dans un chiffon de nuages
essayant d’oublier
deviens noctambule
la viscère tirée par un fil minuscule
emmène-moi aux cygnes
j’ai dit à personne
hochant mon chapeau de fleurs
en douloureuse obéissance
ce paysage incolore
surtout effacé.

 

9

Ce château fait de lait
fait d’os
ce jardin mûr de mort
source de chagrin : inconnue
les graines rarement semées
empochées pour déveine
siècles d’averse
dedans
musique de deuil
une église sanprêtre
imperturbable
parfois l’ombre
d’un oiseau
y passe
inaudible.

(nous sommes poussière
irremuée).

 

Bianca Casady, Au bord du ciel / Heaven Bound, édition bilingue, traduction de l’anglais (États-Unis) par Ileana Garza Terán, Éditions Au diable Vauvert, © 2023.

En librairie le 21 septembre

 


Bianca Casady

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