Nouvelle

Cinquante ans

Écrivain

Dans la nouvelle inédite que Marie-Hélène Lafon a confiée à AOC, on retrouve le Cantal natal et la vie insulaire de la ferme qu’on lui connaît. On retrouve aussi l’art avec lequel l’écrivaine, dont un recueil de ses nouvelles paraît ces jours-ci (Libretto), met en scène une famille, son histoire, son présent, les gestes des femmes et des hommes, des sœurs et des frères, leurs attachements, ce qui s’y dit et ce qui s’y tait, et même la suite qui reste à imaginer.

Aujourd’hui, il faut y aller. Claire ira aujourd’hui, cet après-midi, elle a prévenu sa mère, elle a téléphoné, elle s’est annoncée, elle a dit, je viendrai vendredi, vendredi après-midi. Vendredi c’est aujourd’hui, il faut y aller. Elle y pense dans le lit. Le matin vert et bleu entre par la fenêtre ouverte. Quand les étés sont beaux, elle ne ferme jamais la fenêtre de sa chambre, ni de jour ni de nuit, et elle n’a ni volet, ni rideau. Elle ne veut pas être séparée de la lumière des jours et du velours des nuits, le moins possible. Elle a quitté Paris mardi matin, elle est arrivée en fin d’après-midi sous une pluie fine et molle, presque tiède, une pluie verte de début juillet, comme en suscitent parfois dans leur sillage les orages les plus tonitruants. Les premiers gestes, les premières heures sont toujours les mêmes, depuis huit ans. La maison est un bouquet, les couleurs éclatent, ça pavoise en grand, ça jubile dans la gloire irrémédiable des étés. Sa sœur a la main verte et fait merveille. Les framboises sont velues et tièdes sous la langue. Les chemins, celui de la vieille route, celui des blaireaux, celui de la Fougerie ou du Jaladis, chatoient et frémissent dans l’or du soir. Elle se laisse traverser et ne pense à peu près à rien tout en prodiguant les usuels soins de début de saison à la maison de pierre, d’ardoises et de bois. C’est le huitième été qu’elle y passe ; elle compte sur ses doigts, elle aime bien le faire, 2006, 2007, jusqu’en 2013. 2013 est l’année des cinquante ans de son frère, il les aura fin août, il est né onze mois après elle ; si elle avait été un garçon, son frère ne serait pas né.

Sa mère le lui a dit ; c’était en 1976, l’année de la grande sécheresse. Claire se souvient exactement de l’expression de sa mère, on aurait arrêté là les frais, si tu avais été un garçon. Elle allait avoir quatorze ans et n’avait pas répondu qu’elle aurait préféré, elle aussi, être un garçon. Elle n’a rien dit parce que, depuis toujours, elle ne peut pas v


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