Poésie

Silence

Écrivain

Jeudi dernier, le gouvernement se penchait en Sorbonne sur des mesures à prendre après les émeutes qui ont suivi le meurtre de Nahel M. le 27 juin. Le journal en distiques du poète Pierre Vinclair porte sur l’année 2023 et commence ici le 30 juin. Nous étions à cette date submergés par le flot bruyant des images et des commentaires. Comment faire de la poésie une forme de pensée de ce qui arrive. Poème inédit.

[30.06] Chronique, la vie recommence au 3e jour d’émeutes,
un flic ayant encore buté un gosse en Mercedes louée :

la banlieue n’est pas un bloc, sur les réseaux ont cédé
place au concours de violence grisée, les endeuillés

et d’un fauteuil perplexe, je vois sur l’écran des voitures
brûler les fantômes d’enfants pillant les magasins,

en joue des policiers dont les syndicats appellent à
exterminer la chienlit chaussée de Nike gratuites ;

sur Snapchat les ados se donnent RDV dans les malls
où les gendarmes fourbissent leur fusil à pompe ;

en attendant demain matin — quand dans les ruines
fumantes abattus et nauséeux nous nous lèverons —

l’injustice amère est prise dans un sandwich de
tristesse grise que tout le monde a devoir d’avaler.

 

 

[01.07] Les émeutes nous font parler (une journaliste du Bondy
Blog regrette sur France Cul. d’entendre « meutes ») et

je dis, en marchant de Gare de Lyon à Bercy (que nul
assaut n’a dégradé) qu’elles identifient l’école ou

la bibliothèque, le commissariat du quartier parce que
des adolescents, levée l’autorité de l’autorité, détruisent

déchargeant une négativité irrécupérable politiquement ;
exhiber des raisons satisfait seulement le désir de parler

 

[02.07] et mon père et moi depuis mes dix-sept ans continuons
de courir en silence sur les sentiers côtiers de Moëlan ;

 

[03.07] ayant posé N. et A., je songe glissant dans l’autre sens
sur les rails que dans la course il y a bien la recherche

de l’intéressant réel dans ses manifestations, mieux,
ses émeutes, par d’autre sens qu’en parlant poésie.

 

 

[04.07] Je mange un phó avec M. D. en me moquant de qui
s’enquiert de son propre apport à l’histoire de la poésie

(celle-ci n’étant, ou qu’un magasin d’outils où piocher,
ou une reconstruction d’archivistes de la littérature

alors qu’il faut qu’un texte brave le réel où il s’encoigne
sans baliser l’existence d’œuvres contemporaines) ;

elle pointe une contradiction, mais je ne sais déjà plus
où (le rhum de G. bu hier soir m’en fait en


Pierre Vinclair

Écrivain, Critique, théoricien et traducteur

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