L’irréductible
Je cherche une phrase de Marguerite Duras, une phrase lue il y a longtemps, une phrase que j’ai connue par cœur, aimée passionnément, et que j’ai oubliée. Si je ferme les yeux, je peux retrouver ses contours, sa silhouette tremblée, son affirmation hypnotique : c’est une phrase qui, comme toutes les phrases de Duras, parle de ce qu’il y a de plus reculé en chacun de nous — de plus secret : ce point scintillant et neutre, absolument irrécupérable, qui échappe à l’emprise de la société.
Je lis les livres de Marguerite Duras pour retrouver cette phrase, mais je ne la retrouve pas : j’en trouve d’autres qui semblent parler d’elle, des phrases qui ont peut-être croisé celle que je cherche et qui brillent de ce même éclat noir ; plus je lis Duras, plongeant à la fois dans Le Vice-consul et La Vie matérielle, passant des Yeux verts à L’homme assis dans le couloir, et de L’Amant à Écrire, plus il me semble que ses phrases affluent vers celle que j’ai perdue : elles viennent de la solitude, de cet éblouissement intraitable qui ouvre les yeux de chacun et nous accorde à une clarté désespérée.
Il n’y a que ça chez Duras, la solitude : ses personnages existent à partir de ce point dur — de cette transparence qui se confond avec l’oubli. On descend par degrés dans cette solitude, comme jusqu’au fond des yeux clairs d’Anne-Marie Stretter, ainsi que le raconte Le Vice-consul : « Il continue à la regarder jusqu’à la défaire, jusqu’à la voir assise à se taire avec les trous de ses yeux, dans son cadavre au milieu de Venise, Venise de laquelle elle est partie et à laquelle elle est rendue, instruite de l’existence de la douleur. »
La solitude est cet escalier où l’on rencontre « la mort dans une vie en cours ». Il n’y a pas de deuil assez large pour contenir une telle rencontre : elle doit se trouver des miroirs, d’autres deuils qui multiplient sa voix (ainsi commencent l’amour et la politique). Quand le Vice-consul danse avec Anne-Marie Stretter, il lui parle sans y arriver : « Si j