La fin de l’infini
Regarde vers le ciel
Puisqu’ici-bas, vivre détruit.
J’étais allongée sur mon lit, mutique, à moitié vivante. Nous étions le 19 novembre 2023, Javier Milei venait d’être élu président de la nation argentine avec 55,3% des voix. Il était minuit passé, je savais le gâchis annoncé de ma nuit, l’insomnie flamboyante qui s’ensuivrait inévitablement. J’entrais dans une sidération. Comment est-ce possible, me disais-je, comment est-ce possible, tandis que des images de Buenos Aires en liesse sous le soleil couchant se succédaient dans le petit écran de mon iPhone, entrecoupées d’une vidéo virale du nouveau président élu en train de brandir une tronçonneuse et d’appeler au massacre de l’État providence, et qui tournait en boucle.
Loin de tout, c’était peut-être la plus proche définition du lieu où je me sentais glisser. L’Argentine, plus que jamais, me manquait, et plus que jamais, me semblait inatteignable.
Quel autre pays pour choisir comme gouverneur suprême un économiste libertarien, qui déclare avoir cloné ses chiens, vivre avec sa sœur, s’opposer à l’avortement tout en diabolisant l’Église, revendiquer le rock’n’roll, le tantrisme et la Torah comme instruments de savoir-vivre, comparer le peso à un étron, pour mieux faire régner le dollar, le tout sur un plateau de télé-réalité ?
Je me sentais impuissante, minable, à regarder les événements se dérouler sur une petite machine. Je passais à côté de l’Histoire, de mon histoire — à côté du sens de ma vie. Une guerre démocratique venait de se déclarer, et moi j’étais absente, à des dizaines de milliers de kilomètres de l’action.
Cette passivité coupable me pesait. Je voulais être là-bas : au plus proche de l’abîme.
Oui, je voulais être là-bas, mais je n’étais pas non plus ici, à Paris, dans le lieu géographique où j’habitais : à nouveau prise au piège dans l’intervalle de ces hémisphères et en réalité incapable d’appartenir à l’un ou l’autre ; en suspens dans ce creux — deux terres, deux langues — si bien connu des e