Quand minuit vient
Quand minuit vient, au partage
de la nuit,
à l’heure où certains ici dorment
mais que tout le monde là-bas veille, que tout le monde là-bas est en proie à la terreur et à la mort semées par les mains, les bras, les cris, les vociférations, les avions, les fusils d’un peuple soldat qui scande :
finissez-les, finissez-les
je me jure à moi-même, à demis-mots : ils n’auront pas mon silence, ni mon assentiment, ils
ne me
finiront pas.
Je me promets, au partage de la nuit, que je manierai les mots avec la précision et la clarté
que méritent les mots, que je
respecterai leur lumière et leur vérité et
démontrerai
que les propagandistes
(même les gentils propagandistes ceux sont présentables, les manieurs de l’ambiguïté,
qui écrivent des mots des mots beaucoup de mots qui ne veulent rien dire
qui posent des questions qui ne veulent rien dire
qui viennent, joliment maquillés, à la télé,
s’étrangler d’indignation,
qui sont les pires propagandistes en réalité qui, derrière leurs sourires
le soir
murmurent
finissez-les, de grâce,
finissez-les,
et qu’on nous laisse tranquilles)
je démontrerai, donc — c’est ce que je me jure à moi-même au partage de la nuit —,
que les mal-meneurs des mots, les menteurs,
les hypocrites aux yeux reluisants
de larmes
sont aussi coupables et
coupables aussi ceux qui se taisent
par crainte, par paresse, par confusion
ou tout simplement
par lassitude.
Je me dis, la nuit, qu’
ils n’auront pas mon silence non ni mon désespoir
(mon désespoir je le réserverai à ceux que j’aime et mon silence à toi l’intime)
eux, en revanche, ils auront ma rage claire et énoncée et précise.
Je fortifie mon âme et lui assure :
écoute le partage de la nuit, vois le scintillement digne des étoiles,
ils n’auront ni tes larmes ni ton silence ni ta faiblesse
mais juste
ta rage articulée
ta dénonciation
qui fera rougir de honte leurs
visages
au moins ça, un peu
de honte, un tout petit peu de
honte,
ce sera déjà ça de pris,
n’est-ce-pas mon âme,
les voir seulement
baisser les yeux u