Cycle
Elle m’a demandé si j’avais déjà fait une dépression.
Elle a mis les formes, s’est presque excusée, c’est le protocole, elle a besoin de savoir, contre-indication.
Je ne sais pas bien quoi répondre.
Je ne sais plus les traits de son visage. Je sais qu’elle est blonde, que son bureau a des murs blancs. Je ne sais plus comment elle s’appelle. Claire.
Je lui réponds, je pense, oui, peut-être une fois ou deux. Comme tout le monde, je plaisante.
Le noir de ses yeux s’épaissit.
Elle semble rassurée que je n’aie jamais pris de traitement, jamais été suivi pour ça.
Elle m’autorise à rejoindre le programme.
Je redescends dans la rue, il y a un rendez-vous.
Avant que je sorte, elle a tenu à me préciser :
pour cette session c’est très étrange mais pour l’instant je n’ai que des hommes.
C’est très étrange, d’habitude c’est l’inverse.
C’est très étrange, elle dit que peut-être aussi c’est bien.
C’est très étrange, elle a l’air d’avoir un peu peur.
Moi aussi j’ai un peu peur mais je dis que ça ne me pose pas de problème. Je dis comme elle que peut-être aussi c’est bien.
Je redescends dans la rue, il y a un rendez-vous.
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Le lendemain je vois mon chef, médecin responsable d’une unité dans un service pédopsychiatrique.
Je lui en parle.
Il y a un rendez-vous, je vais commencer.
Tous les jeudis je devrai partir plus tôt mais c’est pour la bonne cause en quelque sorte c’est de la formation.
Il encourage, il adore. Il pratique lui aussi. Il est connu dans l’hôpital pour donner ces ateliers.
En tant que stagiaire je les coanime avec lui.
Je me suis dit quand même c’est la moindre des choses si je vais être animateur que j’aie testé mon propre médicament, goûté à ma propre soupe.
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Cela a lieu dans le sous-sol d’un dojo de yoga.
Il y a une toute petite pièce pour se changer.
Je fais en sorte d’arriver déjà en tenue, ou alors je ne me change pas du tout.
Le vestiaire fait peur.
Je me demande si Claire aussi a peur, peur d’être face à dix hommes inconnus dans un sous-sol. Moi j’ai