Poésie

Jeanne et le Coulé

Artiste, poète

Extrait d’un ensemble de textes réunis sous le titre Frustration vient du scandinave ergi, le récit-poème d’aujourd’hui joue avec le leitmotiv, l’oralité, les silences, le rythme syncopé. Son jeune auteur est étudiant du cours de création littéraire de l’École nationale supérieure d’art Paris-Cergy. Nous continuons notre série d’écrivain.e.s « débutants ».

Jeanne ne se demandait pas si ce qu’elle avait fait était bien ou mal, elle ne pensait pas

à ce qu’elle avait fait car si elle le faisait, elle se demanderait

sûrement si cela relevait du bien ou du mal, alors elle ne pensa à rien, à rien

d’autre que ce qu’elle avait fait, ne sachant déterminer le bien du mal.

 

Le Témoin se dit qu’il avait probablement halluciné, ne sachant quoi penser,

il hallucina, alors il rangea sa capote, parce que le Témoin est écolo même

lorsqu’il s’agit de baiser, et halluciné il remballa son slip et rebroussa

chemin.

 

Jeanne ne sachant quoi penser, se forçait à ne pas halluciner, s’efforçait à ne

pas penser qu’elle l’avait

Couler,

se convaincant que ce n’était que deux sacs de pierre, deux sacs de pierre à

première vue pas si lourds, mais croyez-le, ils l’étaient, elle ne put

s’empêcher de penser à ne pas halluciner.

 

Le Témoin pensait à ne pas avoir d’accident, parce que c’est vrai, devant un

tel acte, qu’il ait halluciné ou non, ce serait con de faire marcher l’assurance,

alors

concentrer

concentrer

concentrer

à ne pas avoir d’accident

à penser qu’il avait halluciné.

 

Jeanne tâchait de ne pas penser à le repêcher, elle avait des cannes

hallucinées, qui pourraient être ses bras, des hameçons sûrement pas assez

forts pour repêcher l’homme et ses sacs de pierre, alors elle ne

penser

penser

penser

qu’il était mort, et que de toute façon, repêché ou non, il pourrirait quoi qu’il

fasse, alors Jeanne décida de ne pas halluciner, de se mettre un peu d’eau sur

les joues, parce qu’apparemment dans les films ça marche bien.

 

Le Témoin ne pouvait s’empêcher de penser qu’il était jeune le Coulé et

qu’être jeune était un jeune âge pour mourir, et que s’il ne s’appelait pas le Coulé

mais le jeune, et que le jeune était pédé, il l’aurait probablement baisé

dans les bois derrière la plage, comme il le faisait toujours, avec ses capotes

usagées, parce que le Témoin est écolo et qu’une capote c’est réutilisable.

 

Jeanne ne pouvait s’empêcher de penser


Nolan Ménager

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