Récit

Le chas de l’aiguille

Musicienne, Écrivaine

Partie à Inis Mor, île d’Aran en Irlande, la narratrice de ce récit, aujourd’hui étudiante du master Ecopoétique et création de l’université d’Aix-Marseille, fait l’expérience de l’écriture et de ce qu’est écrire sur un lieu. Un espace « dont je rencontre la résistance », « qui me rend mes contours ». Nous continuons notre découverte d’auteur.e.s « débutant.e.s ».

Je suis assise dans un pub, attablée face à un thé.
La radio en sourdine susurre des chansons douces.
… where have you been so long… [1]?
 

Inis Mor est la plus grande des trois îles d’Aran, au large de Galway, en Irlande. Deux liaisons maritimes les desservent quotidiennement – sauf en cas de tempête – depuis le Connemara et depuis le Burren. Entre le moment où je suis montée dans le bus à destination de l’embarcadère de Rossaveal, dans le Connemara, et celui où j’en suis redescendue, le lendemain midi, j’ai pleuré, sans tristesse, mais avec persistance. Je m’interroge toujours, plusieurs années plus tard : qu’ai-je vu à Inis Mor, pour avoir été touchée si profondément ?

  

J’ai rêvé que j’écrivais, que je tenais un journal pour donner à voir le cheminement de mes réflexions, comme je donnerais à voir le tracé du chemin, du quadrillé par ma marche sur le sol ; la forme des sentiers qui circonscrivent, sur un territoire, des lieux, des espaces, des îles. Pour dire des lieux, me placer à leur marge, d’où je peux les voir, les observer ; ne pas être (pleinement) dedans. Pour parler d’un lieu je ne devrais pas être dedans ? Je ne sais pas.

Je pense à la salle de spectacle de S., bordée de l’intérieur par des rails compliqués sur lesquels le machiniste fait glisser les spots lumineux : pour parler d’un lieu, mon premier mouvement semble consister à me placer à sa périphérie, un peu en hauteur ; à m’éloigner de son centre (un lieu a-t-il un centre ?).

Souvent, je reste en marge. Je regarde, contemple, me raconte mes propres fables sans donner prise au vent. Je contourne, reste au bord, ne plonge pas, évite l’eau et l’épaisseur d’une part de réel ; est- ce que je le décide ? Je n’en sais rien ; c’est un modus vivendi, une façon de ne pas passer des seuils parce que – peut-être – le passage serait douloureux.

J’ai voulu faire ce voyage seule. Ce n’était pas mon premier voyage en Irlande. J’avais pleuré à chaque fois. Le temps qui m’était imparti, pour ce séjour, éta


[1] Extrait de mon journal de voyage, 2019. Je n’ai jamais réussi à retrouver la chanson qui passait à la radio dans ce pub.

Isabelle Guérin

Musicienne, Écrivaine

Rayonnages

FictionsRécit

Notes

[1] Extrait de mon journal de voyage, 2019. Je n’ai jamais réussi à retrouver la chanson qui passait à la radio dans ce pub.