Les enchanteurs
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(Los Angeles, 21 h 14, lundi 9/4/1962)
Le Losers Club. Au croisement de Beverly et La Cienega. C’est une boîte de strip-tease. Elle attire du monde en ce moment. Les comiques à succès viennent s’y encanailler. Lenny Bruce, Don Rickles, Mort Sahl. Ils ont le droit de balancer des blagues obscènes. C’est la Gestalt-thérapie des Losers.
Il y a un grand panneau sur la façade. Il indique le « Loser de la semaine ». Le règne d’Eddie Fisher commence ce soir. C’est le couillon désigné et l’attraction vedette. Je suis le garde du corps d’Eddie. On s’est posés dans le foyer des artistes. Il y a un bar avec tout ce qu’il faut et un buffet monstre de charcutailles. Notez les coupes pleines de barbitos et d’amphètes.
Eddie a lancé : « Nixon a été deux fois Loser de la semaine. Rock Hudson a décroché le pompon le mois dernier, mais personne ne sait pourquoi. »
J’ai allumé une clope. « La brigade des mœurs du shérif l’a chopé en train de jouer à broute-minou dans les chiottes du Hamburger Hamlet. Ce choix est destiné aux connaisseurs de L.A. Le Rock se fait son petit film “j’ai une vie secrète”. Ce n’est pas un loser emblématique, comme toi et Nixon. »
Eddie s’est esclaffé. « J’accepte parce que ça me donne du boulot, mais c’est Liz qui devrait avoir le titre de Loseuse du millénaire. Son maquilleur est un vieux pote. Je reçois des rapports quotidiens du plateau. Tout indique qu’on fonce droit vers la catastrophe. »
Il parlait de la débâcle Cléopâtre et de la Fox au fond du trou. Le tournage est un gouffre financier et un chaos complet. Les lignes de télégraphes entre Rome et L.A. bourdonnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Liz Taylor est la Mégère de l’Année quand Eddie n’est que la Pauvre Poire Passive. Elle est lessivée par l’alcool et les cachetons et frappée de maux mystérieux. Elle fait semblant d’être malade dans des suites d’hôtels chics et se gave de bouffe. Elle se tape son partenaire vedette, Richard Burton. Les paparazzis les traquent tout le long de la Via Ve