Théodoros
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Si tu te signes avec trois doigts poisseux de sang, en te marquant le front au-dessus des sourcils (une goutte glisse le long de ton nez bistre et aquilin jusqu’à ta moustache nouée du côté gauche avec un fil d’or, et tombe sur les dalles de malachite de la forteresse royale), en déposant ensuite une tache au bas de ta chemise d’un atlas si blanc qu’il semble doré, et deux autres sous tes épaulettes en opale, d’abord à droite, puis à gauche, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen, ton signe de croix sera-t-il reçu ? On t’a toujours dit que tu étais une croix de preux, comme on dit pour désigner un vaillant dans ta langue natale, et c’est bien ce que tu as toujours été autant que tu t’en souviennes, c’est ainsi que tu es né du ventre de ta mère venue de l’Archipel : une croix de chair sur laquelle de nombreux, d’innombrables martyrs ont rendu l’âme, croix d’orgueil et de désir sur laquelle – de tes propres mains maculées de sang et de salpêtre, aux ongles sales que tu as toujours eu longs et que tu ne cures jamais pour conserver le souvenir de chacun des corps, de femme ou d’homme, dans lesquels tu les as plantés – tu as crucifié en tout premier ta pauvre âme, spectre d’air translucide, air translucide percé de clous et hurlant de douleur, et fleurs de sang fleurissant en haut, en bas, à droite et à gauche, au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, Amen.
Tu as été homme de sang, Théodoros, tu as fait ce qui est mal devant Dieu, tu as mangé avec du sang et tu as bu du sang, et c’est pour cela que ton sacrifice ne sera pas reçu, parce que la vie de tout corps est dans son sang. Toute ta vie durant, tu as essayé de concilier la myrrhe et le sang, sur ta croix tu as ajouté une traverse, en bas, aux pieds, comme celle sur laquelle sont étendus tes bras, et sur ces essieux aux extrémités de la poutre tu as fixé des roues à rayon de bronze et tu as transformé la croix en un char de guerre tiré par quatre paires de chevaux, et toi, le maître des sables rouge