Un jour d’avril
Comme Robbie entreprend de descendre l’escalier, de son appartement à celui d’Isabel et Dan, il trouve Isabel assise sur une marche, les bras passés autour de ses genoux ramenés contre sa poitrine, comme pour se réduire elle-même au plus petit paquet possible.
« Bonjour », dit-il. Vu de deux marches plus haut, le dessus de sa tête est son trait le plus marquant. Les cheveux d’Isabel sont encore emmêlés de la nuit, sa raie désordonnée laisse entrevoir des zigzags de cuir chevelu. Robbie et Isabel ne se ressemblent pas beaucoup. Isabel a hérité des yeux d’un gris étincelant de leur mère, ainsi que du petit sursaut osseux qui lui tenait lieu de nez, mais qui, chez Isabel, est en contradiction flagrante avec une mâchoire de pugiliste héritée d’aucun de leurs parents. Elle a appris très tôt que si la prétendue beauté ne résidait chez elle que de manière précaire, la férocité viendrait la compenser. Je serai convoitée, j’aurai des petits copains, je serai la déléguée de ma classe de terminale. Aussi loin que Robbie s’en souvienne, elle a toujours revendiqué sa singularité, pour la simple raison qu’elle ne ressemble qu’à elle-même.
Chez Robbie, les traits de rapace de leur mère – son allure de faucon fait femme, de personne vigilante et dure en affaires – ont été tempérés par la symétrie anglo-irlandaise de leur père : la modestie du nez et du menton, ses yeux chocolat au lait, son affabilité inoffensive.
À l’époque du lycée, Isabel tranchait comme une lame la bêtise des autres, sportifs sans cervelle et reines du bal de fin d’année. Robbie était le moins robuste, celui qui avait le cœur délicat. Il y avait les lunettes, qu’il portait depuis l’âge de cinq ans (il préfère ne pas s’appesantir sur ces lentilles de contact bleu ciel qu’il a gardées pendant un an, à la vingtaine). Robbie était toujours pensif et renfermé sur lui-même (merci, Maman, d’avoir qualifié cette attitude de « ténébreuse », comme le Heathcliff des Hauts de Hurlevent, même si, par là, tu voulais en fait