Blackouts
J’étais venu au Palais parce que l’homme que je cherchais y avait une chambre. Il attendait à la sortie de secours, appuyé contre le chambranle, non pas maigre mais squelettique ; les lèvres rabougries et craquelées ; la peau tendue sur le crâne. Je l’ai reconduit à son lit, d’où il m’a observé, affable mais farouche. La vie brûlait dans ses yeux, comme si son esprit avait quitté ses chairs pour se concentrer là, dans ces iris luisants et vitreux entourés d’un blanc laiteux immaculé. Même mourante, sa voix était vive, claire, et quand il parlait, c’était sans difficulté, sans sifflement, sans confusion (en tout cas, jusqu’à ses derniers instants, où il a sombré dans le délire, racontant des absurdités et récitant de la littérature). Je lui ai dit que je lui tiendrais compagnie et ferais office d’infirmier pour lui tout le temps qu’il faudrait. En vérité, je n’avais nulle part où aller, ce qu’on savait tous les deux. Juan a insisté pour que je reste au Palais et que je reprenne sa chambre après sa mort. Il m’a demandé d’achever un projet qui l’avait un jour consumé, l’histoire d’une femme qui portait le même nom que lui. Mlle Jan Gay. « Allez, il a dit avec un clin d’œil, presse les mains de ta mère pour lui assurer que tu le feras. » Une allusion à une scène célèbre que j’étais incapable de resituer ; ça n’avait rien d’une plaisanterie. J’ai pris ses mains, tout en jointures et doigts osseux, dans les miennes. Il était proche de la mort, et je lui aurais promis n’importe quoi.
« “Mais je ne comptais pas tenir ma promesse. Du moins jusqu’à ces derniers temps, quand j’ai commencé à me remplir de rêves.” D’où ça vient ?
— Je ne sais pas, Juan. Mais celle-là, je vais la tenir. J’en ai bien l’intention.
— Tout le monde ne lui donne pas le même nom, a-t-il dit. Yahn, Jan ou encore Helen. La fée sacrée, la mère de Dieu. Notre Père qui es au milieu. »
J’avais pris la route pour le Palais avec mes derniers sous, seul après avoir tout perdu dans la grande ville. Je n’avai