Roman (extrait)

Le champ

Écrivain

Le champ est celui où est enterré sans sépulture, après son suicide, Odilo Globocnik, le « manager de la mort pour Hitler ». Il est le même que celui dont le blé a nourri le village natal de Winkler, qui découvre cette œuvre de mort que son père taisait. Le prochain roman de cet écrivain autrichien majeur, bientôt publié chez Verdier et traduit par Bernard Banoun, déploie son univers – le monde paysan, la figure du père, le catholicisme, l’Europe centrale et orientale. Suite de nos bonnes feuilles étrangères.

 

ÉPLUCHAGE DE MAÏS SOUS DES NIDS D’HIRONDELLES,
NO MILK TODAY ET
« DEUX MILLIONS ON EN A LIQUIDÉ ! »

 

 

 

 

 

 

hoyert in tol a geshrey
tog-oys, tog-ayn –
ikh vil aheym, aheym geyn vil ikh !
(aheym geyn vil oykh der shney.)  
Sur la vallée plane un cri
jour après jour –
je veux retourner chez moi
chez moi je veux retourner
(la neige aussi veut retourner chez elle).

 

 

Le seigneur envoie Jockel au champ : / Pour qu’ il
fauche l’avoine, / Jockel ne fauche pas l’avoine / Et ne
rentre pas à la maison.

 

Gentil tate ! Méchant tate ! Pourquoi, pourquoi le cachais-tu, pourquoi donc as-tu passé cela sous silence, car enfin, comme tous les autres villageois, quand tu nous racontais tes expériences de guerre et tes aventures de guerre, surtout à la Toussaint et au jour des Morts, à Pâques, ou bien au début de l’automne quand on épluchait ensemble le maïs à l’étable, ou avant la descente d’estive ou bien quand nous travaillions aux champs, au Pré pointu, au Champ de l’Église ou aux Pâtis-aux-Porcs – tu ne pouvais pas ne pas le savoir, avoue, mon tate –, pourquoi ne disais-tu pas que là où nous avons grandi, dans la vallée de la Drave en Carinthie, non loin de notre village natal de Kamering construit en forme de croix, là, dans les Pâtis-aux-Porcs, un pré communal utilisé par plusieurs fermiers, a été enfoui Odilo Globocnik, originaire de Klagenfurt et exterminateur de Juifs. Pourquoi omettais-tu de nous raconter quelle terre nous foulions quand, aux Pâtis-aux-Porcs, nous passions par-dessus le squelette de ce chien sanguinaire nazi qui se faisait appeler « Globus » et « König » et lançait d’un air crâne « Deux millions on en a liquidé ! » quand, enfants, avec les parents, la fille de ferme et le valet de ferme nous récoltions les patates et le seigle pour notre pain noir quotidien et le blé pour notre pain blanc et l’avoine pour la mangeoire de tes bêtes de trait, la jument Onga et le Fuchs, ou quand, sur ce lopin de terre où a été enfoui le cadavre de l’exterminateur de


Josef Winkler

Écrivain