Poésie

Ce que vous trouverez caché dans mon oreille

Poète, écrivain

Pour clore notre série de bonnes feuilles de la rentrée littéraire étrangère, cette sélection de poèmes de Mosab Abu Toha, Gazaoui qui a pu quitter l’enclave en novembre. C’est aux États-Unis qu’a été publié en 2022 son recueil, qui parle de Gaza et charge sur son dos notre lecture d’aujourd’hui. Et comme Ève de Dampierre-Noiray, sa traductrice, l’écrit : l’« hyperconsience des mots révèle la présence, tapie sous la langue américaine, de la langue arabe, très active ». À paraître chez Julliard.

Un peintre palestinen

 

Deux oiseaux

quittent leur nid,

ils chantent peut‑être

pour l’artiste qui travaille

dans ce qui était jadis

un jardin bien tenu.

 

Il peint une nouvelle maison,

et même un nouveau jardin.

Sans éclats d’obus,

sans poutres métalliques tordues,

sans résidus de briques,

de fils électriques.

 

Mais il semble hésiter,

En voyant une poupée sans tête

qui gît dans les décombres.

 

Je me demande s’il va la peindre

avec la nouvelle maison et le jardin ressuscité.

Cela pourrait détruire l’harmonie d’ensemble.

Déranger le visiteur

venu d’ailleurs.

 

 

Je cherche une nouvelle sortie

 

Lourd de peur

Le rideau

ne se lève pas.

 

Comme souvent

le courant est coupé.

 

Nous sommes impuissants.

 

L’air est pétrifié

il nous oppresse.

 

Aucune lumière

pour que je puisse voir

les frontières de mon état

 

mon état inexistant.

 

Je ne trouve les mots nulle part

ni dans mon dictionnaire gazaoui

ni dans mon dictionnaire américain.

 

Je ne trouve aucun mot

dans mon imagination

pour combler le vide.

 

Tout a été emporté par les tornades

venues de l’est, de l’ouest, sans relâche

pour s’abattre sur notre théâtre :

 

tant d’enterrements.

 

L’air s’agite soudain,

bruits de sifflement.

Le moral revient, je ne faiblis plus,

je cherche une nouvelle sortie.

 

Pas d’applaudissements.

Le drame ne finit jamais.

Le public s’en va

Avant que j’arrive.

 

 

Marelle olympique

 

Assis avec ma famille et mes amis,

dans la nuit tiède du Ramadan,

je bois du thé.

Les garçons jouent à cache-cache.

Les filles à la marelle.

Les mères bavardent et rient.

Un bruit de drones bourdonnant

au-dessus de nous

met fin aux jeux, aux voix, aux rires.

Un missile rate sa cible,

il tombe dans un champ voisin.

Des éclats d’obus sectionnent les fils électriques.

La poussière recouvre le thé,

comme la mousse d’un café au lait.

Arrivent d’autres missiles,

à l’affût de tout ce qui bouge.

Les anges emportent ma nièce encore bébé.

Nous regardons autour de nous et ne trouvons

que son biberon.

 

 

Le mur et l’horloge

 


Mosab Abu Toha

Poète, écrivain

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