Nouvelle

Une femme est passée

Écrivaine

« C’était un peu comme si chaque table était entourée d’une bulle, parfaitement transparente, à l’intérieure de laquelle les uns et les autres rejouaient leur intimité » : ainsi commence La Terrasse, le roman de Christine Montalbetti publié en cette rentrée. Ce pourrait être l’incipit de cette nouvelle. Entre les deux textes court un fil, celui qui passe, à sauts et à gambades, par ce qu’on imagine librement de la vie des autres pour arriver à la sienne.

Il est midi à peine, il fait assez froid et soleil en même temps, un soleil chaud, qui le perce, ce froid, qui crée comme un effet d’omelette norvégienne, ce dessert contrasté qui ressemble à une expérience et qui associe le congelé d’une glace vanille au brûlant de la meringue flambée. J’ai terminé depuis quelques jours le roman sur lequel je travaillais intensivement depuis des mois, et je sors à une heure à laquelle d’habitude j’écris encore. J’ai l’impression de redécouvrir le dehors après toute cette immersion dans la fiction.

Mes pas ont l’air de m’emmener vers le parc, et puis non, je m’arrête en chemin à la terrasse d’un café, oh, un bout de terrasse, sur un coin de trottoir, mais avec ce soleil, est-ce que ce n’est pas une bonne idée de m’y installer ?

À la table d’à côté, des gens parlent de cinéma et de sophrologie, j’écoute sans écouter, mes pensées sont sur off et ça n’est pas désagréable, ce bain de langage, ça me dispense de réfléchir à quoi que ce soit.

C’est un drôle d’état que celui de la fatigue du roman tout juste achevé : cet épuisement et l’envie pourtant de se remettre à écrire, de s’asseoir de nouveau devant la fenêtre et de façonner encore du bout des doigts des phrases, de modeler des univers. L’imagination a besoin de l’énergie du corps aussi, et on se tient dans une sorte d’hébétude tandis que ces deux extrêmes bataillent en soi, l’épuisement et le désir. Ou plutôt tandis que le désir bataille, et s’embourbe dans l’épuisement qui le retient et l’enlise.

Je flotte dans cette fatigue.

Je laisse les phrases de mes voisins de table entrer en moi, ricocher à peine, ressortir. Je ne les poursuis pas intérieurement, elles ne réveillent rien, ma tête vide se laisse traverser par elles comme par un genre de brise, un souffle anodin. Une à une elles se forment et une à une elles s’envolent, verba, on le sait, volant : ces phrases, à mon oreille, des bruits d’oiseaux.

Et puis une femme passe.

D’un coup, cette vision m’aspire. Elle réveille mes pensé


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