Poésie

Deux poèmes

Autrice

Au printemps dernier, Caroline Lamarche a publié un récit-poème, Cher instant je te vois, en hommage à une amie dont elle avait accompagné la maladie – un hommage au présent, en somme, et que les deux poèmes d’aujourd’hui prolongent. Disparition des oiseaux, agonie de notre planète, musique, chants et amitiés déclinent mille joies et mélancolies de tous les jours.

Même l’hirondelle

 

We only said goodbye with words
Amy Winehouse

Je suis l’enfant d’un pays sans tétras-lyre

et sans rossignol désormais. Et bientôt

sans perdrix, sizerin, engoulevent, locustelle,

gélinotte, coucou, chardonneret, rousserole.

 

Même l’hirondelle dont le nom fluide

évoque une friandise qui glisse dans la gorge de l’air

se fait rare. Reviendra-t-elle l’an prochain ?

Sans elle le ciel sera vide.

 

De ceux qui résistent je guette le chant.

Un merle à deux cents mètres – je dois tendre l’oreille –

deux mésanges bleues sautillant dans une haie

le rouge-gorge toujours curieux des humains

davantage d’oiseaux aux abords des villages

que dans les campagnes devenues aseptiques.

 

Mon père avait placé à la fenêtre de ma chambre

une mangeoire fabriquée de ses mains

son modeste toit goudronné

protégeait les picoreurs de la pluie

à l’aube l’éclat de leurs chants m’éveillait

au retour de l’école je me précipitais à la vitre

voilà pourquoi je connais leurs noms

et distingue leurs mélodies à l’oreille.

 

Je n’avais pas de maison de Barbie

pas de chambre rose

de piscine turquoise

de palmier en plastique

rien qu’une petite maison-mangeoire

construite par un père fou de nature.

 

Rien que l’histoire vraie que ma mère me contait

celle de l’étourneau sansonnet de Mozart

qui parce qu’il volait, allègre, du salon de musique au jardin

a inspiré l’allegretto du concerto K 453

avant d’être, à sa mort, placé solennellement sous une dalle

par des choristes vêtus de voiles et chantant

le poème que son grand ami lui dédiait

en ce jour de deuil magistral.

 

Je n’avais pas non plus de téléphone portable

pour écouter en boucle Back to Black

et vénérer Amy Winehouse

son bras tatoué d’un rossignol philomèle

son chignon embroussaillé comme un nid

son cœur déposé dans une urne cinéraire.

Quand je trouvais un oiseau mort je l’enterrais moi aussi

et telle une amoureuse en deuil

confiais une rose à sa tombe.

 

Me consolaient les allegrettos des vivants

venus à ma fenêtre depuis la friche


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