Ma vie est un pays étranger
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Voilà la situation, déclare le sergent première classe Fredrickson en désignant les petits drapeaux en plastique rouges et bleus plantés dans l’herbe sur des tiges métalliques.
Il doit y en avoir une trentaine ou une quarantaine, dispersés autour de nous sans logique apparente. Nous sommes en septembre 2003, sur la pelouse impeccable attenante à notre salle de formation, et, comme d’autres au sein du groupe réuni par le sergent Fredrickson, j’ai promené un regard intrigué autour de moi, me demandant à quoi ces fanions peuvent bien servir. Sur le téléviseur à écran large fixé au mur de la salle de repos, la guerre nous attend de pied ferme. Les combattants qui tirent sur les soldats américains à Bagdad, Samarra et Tikrit peaufinent leur maîtrise de la gâchette rien que pour nous.
— On est entourés de cadavres. Et de morceaux de cadavres, poursuit Fredrickson en insistant sur ce mot. Votre unité vient d’arriver sur le site d’une possible embuscade. Tout le monde est mort. Il ne s’agit pas d’un exercice grandeur nature. OK. Quelle est la première chose à faire ?
— Rassembler un max de sacs mortuaires, répond l’un des stagiaires à l’arrière du groupe.
Fredrickson sourit.
— Non. Comme dans n’importe quelle autre situation, votre premier réflexe doit être de sécuriser les lieux. De délimiter un périmètre de sécurité avant de vous mettre au travail.
Il ajoute que la tâche nécessitera la mobilisation d’un certain nombre de soldats, surtout s’il y a urgence, comme toujours dans ce type de cas.
— Vous allez devoir photographier la scène sous plusieurs angles, si vous avez un appareil numérique sur vous et que vous avez le temps. C’est là qu’interviennent les petits drapeaux. Vous devez en planter un à côté de chaque cadavre ou morceau que vous découvrirez. Si vous n’avez pas d’appareil, faites un croquis.
Nous nous entraînons alors à faire des dessins sommaires dans nos carnets, à griffonner des légendes en tout petit dans la marge, avec des croix surmontées de flèches minu