Poésie

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Poète

Ces poèmes-témoignages ont été écrits par une jeune femme gazaouie, en anglais, et traduits par le poète Karim Kattan, qui nous les a fait connaître. Nour Elassy est née en 2002 à Gaza City. « J’ai tout un monde en moi pour m’aider à guérir. »

Guérison

 

Ô haute falaise qui surplombe la mer,

Combien d’âmes brisées se sont assises sur toi ?

Je te le demande — à contrecœur.

« Des milliers de tentes. »

Je m’assieds au bord de la falaise,

Mes jambes pendent dans le vide.

Depuis le jour où j’ai été forcée de te quitter,

Je mesure ma peine par le nombre de chevaux morts en bord de mer.

Ô haute falaise qui surplombe la mer,

Puis-je sur toi déposer mon fardeau ?

Je suis épuisée,

Peux-tu me guérir ?

« Mais tu n’as plus rien à donner.

Ton cœur a été émietté en d’innombrables morceaux.

Tu ne pourras jamais les rassembler. »

Ah, si je le peux.

Ne sois pas si cruelle.

Je crois en la mer,

En la chaleur de ma mère.

Et quand je partirai,

Je ne serai pas un corps froid.

La chaleur de ce pays

Me gardera vivante pour toujours.

Alors, haute falaise qui surplombe la mer :

Tu te trompes.

J’ai tout un monde en moi pour m’aider à guérir.

Merci de m’avoir tenu compagnie.

 

Citronnier

 

Citronnier, Ô ma sentinelle baignée de soleil,

Ton absence pèse sur mon âme.

Un souvenir parfumé, une perte amère,

Tes feuilles dansaient autrefois dans la brise d’été.

Nord, emmène-moi au nord,

Là où les rafales mordantes

Fouettent mes cheveux

Et les lumières de la ville brillent comme diamants dans le ciel.

Ramène-moi chez moi, là où vivent les souvenirs,

Perte, absence, et goût amer dans l’air marin,

218 peines, chacune une épine dans mon cœur.

Citronnier, pardonne-moi, je n’ai jamais voulu te quitter.

Je suis sure que ma mère t’a arrosé

Avant notre départ. Citronnier, t’ont-ils déraciné ?

Ne fais pas la même erreur que nous,

Laisse tes racines profondes, accroche-toi à l’olivier.

Citronnier, dis-lui

Que je rentre, pour me réchauffer à ta lumière,

Je rentre, pour sentir à nouveau le soleil sur mon visage.

 

Espoir

 

Coucher de soleil, toit,

Ô mon toit

On dit que les lieux ressentent leurs propriétaires.

Mais cela fait 191 jours que je n’ai pas été chez moi.

Toit,

Te souviens-tu de nos couchers de soleil ?

Après chaque trêve sans espoir,

Chaque mensonge

Que le monde nous a servi,

Je m’étais promis d’écrire,

Mais je n’ai pas pu.

Peut-être parce qu’une part de moi croyait

Qu’en l’écrivant, tout deviendrait réel —

Les cauchemars, les visions éveillées.

Le génocide a commencé,

Emportant tout ce que nous avions de cher :

Chaque rue, chaque recoin,

Chaque école.

Mais ils n’ont pas pu emporter

Nos souvenirs, nos rêves,

L’espoir.

Lever de soleil, toit,

Des enfants font voler leurs cerfs-volants haut,

Mais pas plus haut que mon espoir.

 

Toi

 

Je ne reviendrai jamais à moi-même

si je ne reviens pas à toi.

« Laisse, il ne reste plus rien pour toi ici. »

Je ne veux pas laisser.

Je veux que tu me donnes toutes tes blessures,

Ton deuil et tes décombres

Et je te donnerai en retour

mon amour.

Mes yeux ne sauraient voir la moindre couleur,

tant que je ne peux voir les sourires radieux de tes enfants.

Car l’odeur de ton petrichor,

c’est là mon paradis terrestre.

Par toi, je m’épanouis par toi,

je deviens

moi

même.

 

Mon amour

 

Rayon de poussière solitaire

Par la fenêtre de ma tente.

Je suis jeune et amoureuse,

Amoureuse d’une maison à

six kilomètres d’ici

et de son citronnier esseulé.

Ô vent douloureux qui souffle

par le trou dans mon âme.

Je suis jeune et en peine,

En peine comme un olivier orphelin.

Mon amour,

Comment en sommes-nous arrivés là ?

À seulement six kilomètres,

Déplacée sur ma propre terre.

Mon regard peut encore te toucher,

J’aimerais que mes mains puissent, elles aussi, te toucher.

 

Lumière

 

Où il y a la vie,

Il y a la mort.

Où il y a le désespoir,

Tu es là aussi.

Où il y a un martyr,

Il y a quelqu’un d’autre,

Une autre âme, fortunée.

C’est avec espoir que je fais appel à vous :

M’entendez-vous ?

Là bas, de l’autre côté de

l’océan des martyrs,

Là où il n’y a plus de douleur,

Seulement lumière et paix,

Vos âmes resplendissent,

et éclairent nos ténèbres.

Attendez-moi, j’arrive.

 

Âme blanche

 

Âme blanche,

Blanche comme

Le rien.

Tu t’élèves haut, au-delà de nos regards,

répandant ton éclat sur nos jours obscurs.

Si une chose seulement avait été différente,

tout le reste aurait-il aussi été différent aujourd’hui ?

Je ne me plains pas, non,

je cherche juste à comprendre.

Ça ne me dérange pas.

Et même :

Je voudrais être

une âme blanche,

aussi blanche que

le rien.

Que rien n’égale ma pureté.

Je veux m’élever,

au-delà de vos regards.

Pardonnez-moi.

Mais avec toute cette cruauté,

il ne me reste plus rien ici.

 

Deux endroits à la fois

 

Peut-on être présent à deux endroits à la fois ?

Vous pourriez penser que je perds la tête

Mais oui, je pense que c’est possible

Parce que je suis là-bas

Dans mon lit

Sous ma couverture violette

Par une parfaite soirée de janvier

L’odeur d’un gâteau à l’orange fraîchement cuit embaume la maison

Ma bougie parfumée à la cannelle est allumée

Je suis angoissée par les résultats de mes partiels

Les gouttes de pluie frappent doucement à ma fenêtre.

Mais,

Je suis ici

Dans un endroit auquel je n’appartiens pas

Et n’appartiendrai jamais

Je survis dans une tente noire

Sous la chaleur d’un soleil impitoyable.

Ma seule consolation

C’est d’être là-bas.

 

Actes de naissance

 

« Deux actes de naissance, s’il vous plaît »

Deux anges flottent et lui tapotent doucement les épaules.

« Vos bébés sont partis, monsieur, ainsi que votre femme. »

Le 13 août 2024

Un jour de plus,

Une perte de plus, effacée, oubliée

Un jour de plus

Où j’essaie de manipuler les mots

Pour faire jaillir la beauté de la poésie

Je ne sais plus si j’en suis encore capable.

 

Sidération

 

Ma mère dit que j’ai l’air triste

Mais je ne le suis pas

Je suis sidérée.

Quand le ciel s’assombrit,

Je tente de distinguer les vraies étoiles parmi les fausses

Je déteste celle qui brille d’un rouge vif

J’ai l’impression qu’elle fixe mon âme,

Qu’elle sait à quel point j’ai peur.

Par la fenêtre brisée,

Je fais de mon mieux pour ne pas la regarder

Je reste allongée avec mon insomnie,

Et essaye plutôt de voguer dans mon esprit.

J’y rencontre le chagrin, des bébés sans tête,

L’angoisse, de la chair fondue méconnaissable suspendue à des décombres

Mais surtout,

J’y rencontre le vide, la

sidération.

 

Un jour

 

Cœur vert

Plein d’amour et de vie.

Avec toute une palette de couchers de soleil colorés

Rose, violet, orange.

J’ai toujours préféré les couchers violets,

Avec de petits nuages roses coton.

Mais aujourd’hui

C’est un cœur bleu

Plein de glace et de désespoir.

J’ai perdu tous mes couchers de soleil.

Dans ma tête délirante

Je suis encore là-bas.

Je m’accroche toujours à toi,

Mes ongles saignent.

Ils me supplient de te laisser partir,

Je ne pense pas que j’y arriverai un jour.

 

Gaza

 

Je contemplais mon coucher de soleil

Je voyais comment son or se transformait en gris et me demandais :

« Pourquoi nous ? »

Un ciel bleu saphir sans nuages :

C’est ainsi que je veux me souvenir de toi.

Malgré les décombres, hideuses,

Je vois encore ta beauté.

« Ne sois pas folle,

Je suis tout entière ruines,

Mes oliviers sont morts,

Mes palmiers incinérés,

Et mon citronnier

essaye seulement de survive. »

Je ne suis pas folle,

Ils peuvent bien essayer de te déformer,

Pour moi tu es parfaite,

Toi, et tes martyrs,

Toi, mon amour éternel,

Ma bien-aimée, Gaza.

 

Faites que ce soit nous

 

Sous ce soleil infernal d’août

Faites que ce soit nous, qui observons les avions de guerre,

Mon amour, nous n’avons plus rien à perdre,

Sauf nous-mêmes — n’est-ce-pas ?

 

Autour de cet air salé d’août

Faites que ce soit nous, qui cherchons de l’eau potable

Mon amour, nous n’avons plus rien à perdre,

Sauf notre santé mentale — n’est-ce-pas ?

 

Sous la chaleur insupportable de cette tente en plastique

Faites que ce soit nous, sous une pluie d’obus

Mon amour, nous n’avons plus rien à perdre

Sauf notre appartenance.

À un foyer que nous n’avons jamais eu

— n’est-ce-pas ?

 

Faites que ce soit nous,

Que nous ayons l’honneur

D’être ici, martyrisés près de la mer.

 

À moi

 

Tes rues

Tes marchés

Tes recoins

À moi.

 

Tes martyrs

Tes douleurs

Tes cris

À moi.

 

Ton amour

Ta colère

Ton olivier rouge

À moi.

 

Tes rivages

Ton sable

Ton crépuscule

À moi.

 

Ta mosquée

Ton église

Tes temples

À moi.

 

Tes ennemis

Tes alliés

Tes soldats

À moi.

 

Tes déceptions

Ton espoir

Ta liberté

À moi.

 

Tes hautes montagnes

Tes vallées

Tes prés couleur émeraude

A moi.

 

Je vais te dire un secret.

Je ne t’abandonne pas,

ni hier, ni demain,

jamais.

Car tu es à moi.

 

Humain

 

Sol humide, rouge cramoisi

Poussière grise, corps entassés

Tu ne saurais reconnaître aucun de ces corps

Rouge cramoisi,

Sous la pleine lune d’août

Tu ne saurais reconnaître aucun de ces corps

Même si c’était ta mère,

Ta fille, ton mari.

Les yeux grands ouverts,

Tu fixes le ciel nocturne.

Si seulement tu pouvais trouver des yeux,

Ou même un œil.

Il n’y a pas de super-héros ici

Seulement des humains

 

Mère de toutes les mères

 

Ils te réduisent en cendre, mais ça ne suffira jamais à éteindre ta lumière.

À mes yeux

Tu es le soleil

Tu es une émeraude.

Même s’ils ont brûlé tes palmiers,

Mère de toutes les mères.

Ils jettent ton histoire dans l’oubli, mais ça ne suffira jamais à me faire oublier

Nos souvenirs, notre bonheur

Le sourire lumineux de tes enfants.

Tu restes verte

Même s’ils ont brûlé tes oliviers,

Toi,

Mère de toutes les mères.

 

Traduction de l’anglais par Karim Kattan

 


Nour Elassy

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