Poèmes
Guérison
Ô haute falaise qui surplombe la mer,
Combien d’âmes brisées se sont assises sur toi ?
Je te le demande — à contrecœur.
« Des milliers de tentes. »
Je m’assieds au bord de la falaise,
Mes jambes pendent dans le vide.
Depuis le jour où j’ai été forcée de te quitter,
Je mesure ma peine par le nombre de chevaux morts en bord de mer.
Ô haute falaise qui surplombe la mer,
Puis-je sur toi déposer mon fardeau ?
Je suis épuisée,
Peux-tu me guérir ?
« Mais tu n’as plus rien à donner.
Ton cœur a été émietté en d’innombrables morceaux.
Tu ne pourras jamais les rassembler. »
Ah, si je le peux.
Ne sois pas si cruelle.
Je crois en la mer,
En la chaleur de ma mère.
Et quand je partirai,
Je ne serai pas un corps froid.
La chaleur de ce pays
Me gardera vivante pour toujours.
Alors, haute falaise qui surplombe la mer :
Tu te trompes.
J’ai tout un monde en moi pour m’aider à guérir.
Merci de m’avoir tenu compagnie.
Citronnier
Citronnier, Ô ma sentinelle baignée de soleil,
Ton absence pèse sur mon âme.
Un souvenir parfumé, une perte amère,
Tes feuilles dansaient autrefois dans la brise d’été.
Nord, emmène-moi au nord,
Là où les rafales mordantes
Fouettent mes cheveux
Et les lumières de la ville brillent comme diamants dans le ciel.
Ramène-moi chez moi, là où vivent les souvenirs,
Perte, absence, et goût amer dans l’air marin,
218 peines, chacune une épine dans mon cœur.
Citronnier, pardonne-moi, je n’ai jamais voulu te quitter.
Je suis sure que ma mère t’a arrosé
Avant notre départ. Citronnier, t’ont-ils déraciné ?
Ne fais pas la même erreur que nous,
Laisse tes racines profondes, accroche-toi à l’olivier.
Citronnier, dis-lui
Que je rentre, pour me réchauffer à ta lumière,
Je rentre, pour sentir à nouveau le soleil sur mon visage.
Espoir
Coucher de soleil, toit,
Ô mon toit
On dit que les lieux ressentent leurs propriétaires.
Mais cela fait 191 jours que je n’ai pas été chez moi.
Toit,
Te souviens-tu de nos couchers de soleil ?
Après chaque trêve sans espoir,
Chaque mensonge
Que le monde nous a servi,
Je m’étais promis d’écrire,
Mais je n’ai pas pu.
Peut-être parce qu’une part de moi croyait
Qu’en l’écrivant, tout deviendrait réel —
Les cauchemars, les visions éveillées.
Le génocide a commencé,
Emportant tout ce que nous avions de cher :
Chaque rue, chaque recoin,
Chaque école.
Mais ils n’ont pas pu emporter
Nos souvenirs, nos rêves,
L’espoir.
Lever de soleil, toit,
Des enfants font voler leurs cerfs-volants haut,
Mais pas plus haut que mon espoir.
Toi
Je ne reviendrai jamais à moi-même
si je ne reviens pas à toi.
« Laisse, il ne reste plus rien pour toi ici. »
Je ne veux pas laisser.
Je veux que tu me donnes toutes tes blessures,
Ton deuil et tes décombres
Et je te donnerai en retour
mon amour.
Mes yeux ne sauraient voir la moindre couleur,
tant que je ne peux voir les sourires radieux de tes enfants.
Car l’odeur de ton petrichor,
c’est là mon paradis terrestre.
Par toi, je m’épanouis par toi,
je deviens
moi
même.
Mon amour
Rayon de poussière solitaire
Par la fenêtre de ma tente.
Je suis jeune et amoureuse,
Amoureuse d’une maison à
six kilomètres d’ici
et de son citronnier esseulé.
Ô vent douloureux qui souffle
par le trou dans mon âme.
Je suis jeune et en peine,
En peine comme un olivier orphelin.
Mon amour,
Comment en sommes-nous arrivés là ?
À seulement six kilomètres,
Déplacée sur ma propre terre.
Mon regard peut encore te toucher,
J’aimerais que mes mains puissent, elles aussi, te toucher.
Lumière
Où il y a la vie,
Il y a la mort.
Où il y a le désespoir,
Tu es là aussi.
Où il y a un martyr,
Il y a quelqu’un d’autre,
Une autre âme, fortunée.
C’est avec espoir que je fais appel à vous :
M’entendez-vous ?
Là bas, de l’autre côté de
l’océan des martyrs,
Là où il n’y a plus de douleur,
Seulement lumière et paix,
Vos âmes resplendissent,
et éclairent nos ténèbres.
Attendez-moi, j’arrive.
Âme blanche
Âme blanche,
Blanche comme
Le rien.
Tu t’élèves haut, au-delà de nos regards,
répandant ton éclat sur nos jours obscurs.
Si une chose seulement avait été différente,
tout le reste aurait-il aussi été différent aujourd’hui ?
Je ne me plains pas, non,
je cherche juste à comprendre.
Ça ne me dérange pas.
Et même :
Je voudrais être
une âme blanche,
aussi blanche que
le rien.
Que rien n’égale ma pureté.
Je veux m’élever,
au-delà de vos regards.
Pardonnez-moi.
Mais avec toute cette cruauté,
il ne me reste plus rien ici.
Deux endroits à la fois
Peut-on être présent à deux endroits à la fois ?
Vous pourriez penser que je perds la tête
Mais oui, je pense que c’est possible
Parce que je suis là-bas
Dans mon lit
Sous ma couverture violette
Par une parfaite soirée de janvier
L’odeur d’un gâteau à l’orange fraîchement cuit embaume la maison
Ma bougie parfumée à la cannelle est allumée
Je suis angoissée par les résultats de mes partiels
Les gouttes de pluie frappent doucement à ma fenêtre.
Mais,
Je suis ici
Dans un endroit auquel je n’appartiens pas
Et n’appartiendrai jamais
Je survis dans une tente noire
Sous la chaleur d’un soleil impitoyable.
Ma seule consolation
C’est d’être là-bas.
Actes de naissance
« Deux actes de naissance, s’il vous plaît »
Deux anges flottent et lui tapotent doucement les épaules.
« Vos bébés sont partis, monsieur, ainsi que votre femme. »
Le 13 août 2024
Un jour de plus,
Une perte de plus, effacée, oubliée
Un jour de plus
Où j’essaie de manipuler les mots
Pour faire jaillir la beauté de la poésie
Je ne sais plus si j’en suis encore capable.
Sidération
Ma mère dit que j’ai l’air triste
Mais je ne le suis pas
Je suis sidérée.
Quand le ciel s’assombrit,
Je tente de distinguer les vraies étoiles parmi les fausses
Je déteste celle qui brille d’un rouge vif
J’ai l’impression qu’elle fixe mon âme,
Qu’elle sait à quel point j’ai peur.
Par la fenêtre brisée,
Je fais de mon mieux pour ne pas la regarder
Je reste allongée avec mon insomnie,
Et essaye plutôt de voguer dans mon esprit.
J’y rencontre le chagrin, des bébés sans tête,
L’angoisse, de la chair fondue méconnaissable suspendue à des décombres
Mais surtout,
J’y rencontre le vide, la
sidération.
Un jour
Cœur vert
Plein d’amour et de vie.
Avec toute une palette de couchers de soleil colorés
Rose, violet, orange.
J’ai toujours préféré les couchers violets,
Avec de petits nuages roses coton.
Mais aujourd’hui
C’est un cœur bleu
Plein de glace et de désespoir.
J’ai perdu tous mes couchers de soleil.
Dans ma tête délirante
Je suis encore là-bas.
Je m’accroche toujours à toi,
Mes ongles saignent.
Ils me supplient de te laisser partir,
Je ne pense pas que j’y arriverai un jour.
Gaza
Je contemplais mon coucher de soleil
Je voyais comment son or se transformait en gris et me demandais :
« Pourquoi nous ? »
Un ciel bleu saphir sans nuages :
C’est ainsi que je veux me souvenir de toi.
Malgré les décombres, hideuses,
Je vois encore ta beauté.
« Ne sois pas folle,
Je suis tout entière ruines,
Mes oliviers sont morts,
Mes palmiers incinérés,
Et mon citronnier
essaye seulement de survive. »
Je ne suis pas folle,
Ils peuvent bien essayer de te déformer,
Pour moi tu es parfaite,
Toi, et tes martyrs,
Toi, mon amour éternel,
Ma bien-aimée, Gaza.
Faites que ce soit nous
Sous ce soleil infernal d’août
Faites que ce soit nous, qui observons les avions de guerre,
Mon amour, nous n’avons plus rien à perdre,
Sauf nous-mêmes — n’est-ce-pas ?
Autour de cet air salé d’août
Faites que ce soit nous, qui cherchons de l’eau potable
Mon amour, nous n’avons plus rien à perdre,
Sauf notre santé mentale — n’est-ce-pas ?
Sous la chaleur insupportable de cette tente en plastique
Faites que ce soit nous, sous une pluie d’obus
Mon amour, nous n’avons plus rien à perdre
Sauf notre appartenance.
À un foyer que nous n’avons jamais eu
— n’est-ce-pas ?
Faites que ce soit nous,
Que nous ayons l’honneur
D’être ici, martyrisés près de la mer.
À moi
Tes rues
Tes marchés
Tes recoins
À moi.
Tes martyrs
Tes douleurs
Tes cris
À moi.
Ton amour
Ta colère
Ton olivier rouge
À moi.
Tes rivages
Ton sable
Ton crépuscule
À moi.
Ta mosquée
Ton église
Tes temples
À moi.
Tes ennemis
Tes alliés
Tes soldats
À moi.
Tes déceptions
Ton espoir
Ta liberté
À moi.
Tes hautes montagnes
Tes vallées
Tes prés couleur émeraude
A moi.
Je vais te dire un secret.
Je ne t’abandonne pas,
ni hier, ni demain,
jamais.
Car tu es à moi.
Humain
Sol humide, rouge cramoisi
Poussière grise, corps entassés
Tu ne saurais reconnaître aucun de ces corps
Rouge cramoisi,
Sous la pleine lune d’août
Tu ne saurais reconnaître aucun de ces corps
Même si c’était ta mère,
Ta fille, ton mari.
Les yeux grands ouverts,
Tu fixes le ciel nocturne.
Si seulement tu pouvais trouver des yeux,
Ou même un œil.
Il n’y a pas de super-héros ici
Seulement des humains
Mère de toutes les mères
Ils te réduisent en cendre, mais ça ne suffira jamais à éteindre ta lumière.
À mes yeux
Tu es le soleil
Tu es une émeraude.
Même s’ils ont brûlé tes palmiers,
Mère de toutes les mères.
Ils jettent ton histoire dans l’oubli, mais ça ne suffira jamais à me faire oublier
Nos souvenirs, notre bonheur
Le sourire lumineux de tes enfants.
Tu restes verte
Même s’ils ont brûlé tes oliviers,
Toi,
Mère de toutes les mères.
Traduction de l’anglais par Karim Kattan