Poésie

Rixe

Poète

Un premier roman à peine publié, Je me regarderai dans les yeux, qui dit la violence de la mère, après plusieurs recueils de poèmes – L’eau du bain, x et excès, par exemple – où l’on voit qu’elle n’a pas peur de la violence de la langue : Rim Battal confie aujourd’hui à AOC trois poèmes inédits, extraits d’un recueil en cours d’écriture, Rixe.

1 —

Tout le monde connaît l’oiseau ivre

Son nid épais, son jeu de castagnettes

Ses voyages, ses maisons en tous pays

 

La Stork[1] c’était pour le soir

Le jour je buvais La cigogne[2]

Bien fraîche, décapsulée avec les dents

Pas tombées encore à cause du sucre

La clope sans filtre

Les coups de casque

Place de Clichy

 

Brillant avenir

Présent suspect

Passé composé d’enclumes et de marteaux

 

Depuis, je ne sais ni crier

Ni chanter : je claquète

Jusqu’à la pondaison

Je ponds et je la ferme

 

J’ai pondu cette photo de cette mariée qui recrache le lait

Celui de la mère, celui du mari :

Ni dieu ni maître c’est un truc de garçons

Pour les femmes c’est ni mère ni mari

Et j’ai les deux

 

Il y en a eu qu’ont bien voulu l’accrocher au mur

D’un musée nommé Dar Bellarj – une visiteuse

En parlant d’une photo qu’est pas la mienne

S’est extasiée « wow ! On dirait un tableau ! »

Le garçon à son bras s’est extasié devant

Un tableau : « C’est si beau ! On dirait une photo ! »

 

J’ai serré les poings

Je n’ai tapé personne

 

Je l’ai fermée et ouvert

Une Stork, passé ma langue

Sur mes dents du bonheur

Qui étaient là encore

 

Je n’ai rien vendu, pas même mon âme :

Pas un offrant : le diable a les bras bien chargés

Mon âme est une petite joueuse

Mon âme c’est du pipi de chat

Mon âme craquète, mon corps craquèle

Pas polie trop polie, les poches à poil

Rangée, amuseuse dérangée

Révolutionnaire de comptoir

Maquisarde planquée

Dans la gueule du loup

Himself

 

Poétesse : carie dans les dents du capital

 

 

2 —

 

Ils étaient sans doute maladroits mes coups

Sans élégance, approximatifs

N’empêche, le sang a toujours coulé

Et avec chaque goutte de sang écoulée

Je me suis levée, lavée, restaurée

 

Je disais cela à B. qui me disait, lui,

Comme tous les hommes à qui je raconte

Mes exploits de self-defense « ça sert à rien

Cette violence. Un jour, ça se retournera

Contre toi » sans jamais voir qu’elle est

Déjà pointée sur ma tempe, la violence,

 

Dès le réveil

Depuis le berceau

 

Pour couper court je vais pisser – couper

Court à son discours à la con de mec

Qu’a peur de moi, tout comme les autres

 

La salle est bondée – je dis salle

Mais c’est un bar qu’a des airs de hall de gare

Avec tous les cireurs de Rabat-Centre

Qui s’enjaillent avec de la Stork

Pas une meuf autour – je suis la seule

Admise dans ce trou carrelé de blanc

Éclairé comme une boucherie, au néon,

Blafard, cadavres dansants, ivres

– je reviens vivante des WC – un

Grand sourire aux lèvres –

 

« Pourquoi tu ris ? » Qu’il me demande –

« Rien, on m’a juste claqué les fesses

quatre fois aller trois fois retour »

 

« Ah ouais ? Et ça te fait rire ? »

 

Puisque je n’ai pas le droit de frapper

Je ris

 

Ça le fait rire lui aussi mais à la fermeture

Du bar, y’en à un qui est reparti

Avec le torse écorché

Le goulot de ma Stork

Planté dans le bras

 

 

3 —

 

Les phares de la 5008 incisent la nuit

Les papillons de nuit s’agitent

Dans les phares de la 5008

 

Ils arrivent vers nous, leur fin, à toute allure,

S’écrasent contre la carrosserie chromée

Contre le pare-brise nettoyé à l’Ajax

Avec la joie d’un coup de poing qui va vers sa joue

 

Ainsi en est-il de nous,

Papillons dans la nuit

Dans sa chair

Incisée jusqu’aux boyaux, violence libérée

Souveraine, délectable pour qui sait la goûter

Sans tout nier en bloc, sans faire l’ange

Qui se défend seulement — sans occulter

Le délice du sang dans la bouche — celui

De l’autre autant que celui de sa propre langue

Meurtrie contre des dents sans racines

Langue qui se délite sous la colère et la mort qui vient

Hubris prise au sérieux, vêtue de ses dorures retrouvées

 


[1] Bière marocaine, équivaut à une Kronenbourg.

[2] Limonade gazeuse.

Rim Battal

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Notes

[1] Bière marocaine, équivaut à une Kronenbourg.

[2] Limonade gazeuse.