Rixe
1 —
Tout le monde connaît l’oiseau ivre
Son nid épais, son jeu de castagnettes
Ses voyages, ses maisons en tous pays
La Stork[1] c’était pour le soir
Le jour je buvais La cigogne[2]
Bien fraîche, décapsulée avec les dents
Pas tombées encore à cause du sucre
La clope sans filtre
Les coups de casque
Place de Clichy
Brillant avenir
Présent suspect
Passé composé d’enclumes et de marteaux
Depuis, je ne sais ni crier
Ni chanter : je claquète
Jusqu’à la pondaison
Je ponds et je la ferme
J’ai pondu cette photo de cette mariée qui recrache le lait
Celui de la mère, celui du mari :
Ni dieu ni maître c’est un truc de garçons
Pour les femmes c’est ni mère ni mari
Et j’ai les deux
Il y en a eu qu’ont bien voulu l’accrocher au mur
D’un musée nommé Dar Bellarj – une visiteuse
En parlant d’une photo qu’est pas la mienne
S’est extasiée « wow ! On dirait un tableau ! »
Le garçon à son bras s’est extasié devant
Un tableau : « C’est si beau ! On dirait une photo ! »
J’ai serré les poings
Je n’ai tapé personne
Je l’ai fermée et ouvert
Une Stork, passé ma langue
Sur mes dents du bonheur
Qui étaient là encore
Je n’ai rien vendu, pas même mon âme :
Pas un offrant : le diable a les bras bien chargés
Mon âme est une petite joueuse
Mon âme c’est du pipi de chat
Mon âme craquète, mon corps craquèle
Pas polie trop polie, les poches à poil
Rangée, amuseuse dérangée
Révolutionnaire de comptoir
Maquisarde planquée
Dans la gueule du loup
Himself
Poétesse : carie dans les dents du capital
2 —
Ils étaient sans doute maladroits mes coups
Sans élégance, approximatifs
N’empêche, le sang a toujours coulé
Et avec chaque goutte de sang écoulée
Je me suis levée, lavée, restaurée
Je disais cela à B. qui me disait, lui,
Comme tous les hommes à qui je raconte
Mes exploits de self-defense « ça sert à rien
Cette violence. Un jour, ça se retournera
Contre toi » sans jamais voir qu’elle est
Déjà pointée sur ma tempe, la violence,
Dès le réveil
Depuis le berceau
Pour couper court je vais pisser – couper
Court à son discours à la con de mec
Qu’a peur de moi, tout comme les autres
La salle est bondée – je dis salle
Mais c’est un bar qu’a des airs de hall de gare
Avec tous les cireurs de Rabat-Centre
Qui s’enjaillent avec de la Stork
Pas une meuf autour – je suis la seule
Admise dans ce trou carrelé de blanc
Éclairé comme une boucherie, au néon,
Blafard, cadavres dansants, ivres
– je reviens vivante des WC – un
Grand sourire aux lèvres –
« Pourquoi tu ris ? » Qu’il me demande –
« Rien, on m’a juste claqué les fesses
quatre fois aller trois fois retour »
« Ah ouais ? Et ça te fait rire ? »
Puisque je n’ai pas le droit de frapper
Je ris
Ça le fait rire lui aussi mais à la fermeture
Du bar, y’en à un qui est reparti
Avec le torse écorché
Le goulot de ma Stork
Planté dans le bras
3 —
Les phares de la 5008 incisent la nuit
Les papillons de nuit s’agitent
Dans les phares de la 5008
Ils arrivent vers nous, leur fin, à toute allure,
S’écrasent contre la carrosserie chromée
Contre le pare-brise nettoyé à l’Ajax
Avec la joie d’un coup de poing qui va vers sa joue
Ainsi en est-il de nous,
Papillons dans la nuit
Dans sa chair
Incisée jusqu’aux boyaux, violence libérée
Souveraine, délectable pour qui sait la goûter
Sans tout nier en bloc, sans faire l’ange
Qui se défend seulement — sans occulter
Le délice du sang dans la bouche — celui
De l’autre autant que celui de sa propre langue
Meurtrie contre des dents sans racines
Langue qui se délite sous la colère et la mort qui vient
Hubris prise au sérieux, vêtue de ses dorures retrouvées