Je suis fan
est-ce que je
Je traque sur Internet une femme qui couche avec le même homme que moi. Parfois, quand je me jette trop vite sur ses stories, je la bloque un moment pour qu’elle ne sache pas que je rafraîchis mécaniquement sa page quinze fois par minute, avec Netflix en arrière-plan sur mon ordinateur portable et mon estomac qui se retourne de délice quand sa photo de profil est à nouveau cerclée de rouge. Elle a des dizaines de milliers de followers, un compte vérifié, elle est la fille de quelqu’un de célèbre en Amérique. Un flux continu de personnes blanches s’extasie en commentaires sous ses posts. Elle a des opinions sur des objets domestiques auxquels je n’ai jamais pensé de ma vie ; elle sait avec certitude quel genre de bougies en cire d’abeille il faut faire brûler, elle jette sur sa table une nappe exquise avant le dîner, elle sait où acheter de la poterie en édition limitée chez des potiers en vue, elle va joyeusement dépenser 300 $ pour un vase où elle disposera des fleurs de fenouil vraiment vraiment bio, signifiant par là qu’il y a bio et bio, elle s’offre une bague à 500 $ alors que c’est vaches maigres pour le reste du monde et elle l’exhibe dans un selfie. Elle utilise un filtre sur Instagram qui carbonise ses défauts, amincit ses joues et efface radioactivement les deux épaisses lignes creusées en cuillères dans son front, qui ressortent encore plus quand elle lève les sourcils. Un sentiment de satisfaction maladif me déchire quand je les vois. Elle se fait livrer par les bons restaurants, a l’air de connaître tout le monde dans les sphères les plus hautes de la société, est acceptée dans le genre de cercles qui me semblent, à moi, hors de portée. Je me demande parfois : si je la rencontrais un jour, qu’est-ce que je lui dirais, est-ce que je lui parlerais de notre lien ? Est-ce que je lui dirais que je sais où elle vit, est-ce que je lui dirais comment j’ai deviné qu’elle a rompu avec son copain ? Est-ce que je vais lui dire que je sais pourquoi le