Roman (extrait)

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Écrivaine

Visios, jeux vidéos, streaming en direct… de l’autre côté du front office, moi, les autres et la machine faisons corps. À tel point que sur une plateforme de camsex, la chambre est tout autant réelle que dématérialisée. La jeune écrivaine Justine Lextrait vient de terminer le manuscrit, à paraître à la rentrée, d’un texte qui explore cette sorte de fusion, entre dérives mentales et lucidité. Premières pages inédites.

Aucune orgie possible si je dois me lever à 8 h pour aller au bureau. Si c’est une orgie, elle doit abolir le temps et si le temps est aboli, je n’ai pas à me lever tôt pour aller travailler.
25 avril 1961, Journaux, Pizarnik
Écrire des lettres, c’est se mettre nu devant les fantômes ; ils attendent ce moment avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route.
Début avril 1922, Journaux, Kafka

 

Nous sommes 11 dans ma chambre. Personne ne frappe avant d’entrer.

 

 

Nous sommes 270 dans ma chambre. Une poignée de tokens auréolent mes tétons d’un menu douteux : coca hot-dog au petit déjeuner, ton prénom tatoué au ketchup. Un pied sur la pédale, le fil dans le trou, une hallucination sexuelle se greffe sur une chute de laine bleue froufrou. Fabuler, faire des ourlets, du copier-coller, mixer au rythme de la machine, car les matières m’emportent là où les vêtements ne donnent plus forme aux corps. L’espace entre la chanson, tes lèvres en simultané avec le texte du karaoké – POETRY SUCKS YOUR SEX UNTIL IT GETS BLUE – se compose de lettres pulpeuses en attente de voix pour te remplir à ras bord, vibrations dans la poche du jeans, balades cyber liquoreuses, oui, zoner dans les google docs, une centaine de fenêtres ouvertes. Dans les aéroports, les leggings léopards provoquent des bugs dans le scanner corporel à ondes millimétriques. Mardi, les menstruations ont remplacé le pétrole. Écraser un clavier d’ordinateur à coup de talons aiguilles, des pneus de range rover roulent sur des pastèques, crash d’avion en papier dans une flaque de boue. SCANDALES ET SIESTES. En janvier, j’ai gagné trois mille euros et de février à juin, quarante euros, avec une vitesse de frappe de quatre-vingt-dix-neuf mots par minute. Quand je n’ai pas de fil, je suis la mite dans les manches du pull, j’enlève ce qui dépasse avec des dents de chienne en velours et je porte de l’attention aux étiquettes qui se ventousent en bas de la nuque. Car mon plus


Justine Lextrait

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