Récit

Décharge

Écrivaine, poète

La souffrance des enfants est notre impossible. Séverine Daucourt, qui vient de publier son dernier ouvrage, Poudreuse, dans la toute nouvelle collection de poésie des éditions MF, est aussi psychologue clinicienne. Lors d’un remplacement à l’Aide sociale à l’enfance, des notes se sont accumulées – sortes de poèmes cliniques. Extraits d’un travail en cours.

Tu te souviens de la guerre, rejouée sans pitié par ta mère, qui va au front chaque soir combattre son ennemi (ton père), armée jusqu’aux dents.

Souvent, elle t’utilise comme arme, ainsi que tes deux frères plus ou moins rescapés.

Entre chien et loup, vient l’heure fauve où poisse l’horreur indéfinissable. Début de la séance. Parents Strongly Cautioned. Où sont tes parents ? Sur l’écran.

L’espace se dilate autour de vous, décomptés. Un deux trois, serrée la petite armée.

Vous avancez collés, en géométrie invariable contre la tempête, chacun se sent responsable de l’autre. Tu marches au ralenti, le souffle pris en délit d’incompréhension.

On considère le grand comme un hyperactif difficile éreintant, une graine de délinquant. Il est juste fatigué, non-épanché. Il a son petit bataillon la nuit à diriger. Il ne prend jamais le chemin des larmes. Dans la terreur il te regarde, avec les yeux que tu recherches. Parfois, il les trouve pour toi.

Le petit, il est calme. Il observe sur la plage les châteaux qui s’effritent. Il lit le dictionnaire. Sa voix ne s’arrache pas au murmure enfantin. Au lieu de crier, il avale, s’enfonce dans son corps qui grossit, le lieu où échouer.

Quand la confusion gronde, vous vous rapprochez, vous gérez le risque, corps à corps, accolés, chacun se sent responsable des autres. Tu as peur pour le petit. Ton grand frère a peur pour toi. Ensemble vous avez peur pour vos parents. Pas la peine de se regarder ni de se parler, toutes les peurs circulent. Il en rôde une plus terrible qu’un cyclone, plus grande que celle de mourir ou de voir mourir, une peur on ne sait de quoi, d’être désintégré, oublié dans sa propre maison.

À chaque cri, à chaque objet fracassé, chaque joue ensanglantée, chaque nuit flinguée, tu cherches la sortie sans-issue qui, sans appel, te retourne.

Tu mets ton sommeil dans un panier, à apporter au loup qui habite là-bas, au bout du labyrinthe. Les mots restent au bord de tes dents.

Tes paupières écartèlent l’obscurité, voudraien


Séverine Daucourt

Écrivaine, poète, Psychologue clinicienne