La récréation est finie
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Certains choix conditionnent toute une vie et, jusqu’à présent, j’ai toujours eu tendance à faire ces choix-là au hasard. Si j’avais dû prendre la même décision cinq minutes plus tard, j’aurais facilement pu faire tout le contraire, et je ne crois pas avoir affronté un moment crucial de mon existence armé du moindre début de réflexion ni disposé à me fixer des objectifs, à long ou même à moyen terme. Le plus souvent, je m’efforce de ne rien faire et de tout remettre à plus tard, jusqu’au moment où, toutes les possibilités envolées, je peux regagner mon cocon d’inefficacité et m’y abandonner. Autre option : je cède à l’inertie et constate que j’ai fait quelque chose sans l’avoir jamais vraiment décidé, blotti dans une rassurante cocagne d’irresponsabilité. Il y a deux ans, saisie par une éphémère fascination pour l’Extrême-Orient, ma mère m’a plus ou moins obligé à lire un ouvrage qui soulignait entre autres un trait caractéristique de la mentalité chinoise : au lieu d’agir avec un but en tête, le sage laisse les circonstances le mener où elles veulent, sans s’obstiner comme les Occidentaux à vouloir être maître de son destin. Si mon analyse est la bonne, ce qui compte n’est donc pas que je sois paresseux, mais que je sois au fond l’archétype du sage taoïste.
Que j’aie fini par entreprendre un doctorat ne fait pas exception : en remontant aux sources de ce choix, on trouverait dans le meilleur des cas un fatras de circonstances fortuites, d’opinions défendues au-delà du raisonnable, uniquement par orgueil, et une profonde incapacité à évaluer les conséquences de mes actes.
Je ne suis pas de ceux dont la carrière universitaire coule dans les veines. Hormis l’habitude de lire (que j’ai conservée, même si je ne la partageais avec aucun de mes amis et que mon père y était ouvertement hostile), j’ai été un étudiant plutôt médiocre. Mon seul talent était un certain savoir-faire. Je devinais dès le premier jour ce qu’un professeur voulait s’entendre dire et j’étudia