Roman (extrait)

Même les morts

Écrivain

« Le retrouver et en finir avec son autorité, parce que force est de constater que cet Indien a joui d’un certain ascendant sur les sauvages. » Ainsi commence l’histoire : les émissaires du vice-roi demandent à Juan l’ancien soldat d’aller chercher Juan l’indigène. Du Mexique aux États-Unis, du XVIIe siècle à nos jours, des conquistadors à Trump, suite de notre série de prépublications étrangères à découvrir à la rentrée avec le deuxième roman traduit en français de Juan Gomez Barcela, par Adrienne Orssaud, et à paraître aux Éditions MF.

I

Le meilleur d’entre les pires — Une taverne à minuit — Ce que le vice-roi voudrait, si le vice-roi voulait quelque chose — Vies de chien — Une certaine idée du foyer — Le silence d’un coq
Une tête, au fond d’un sac — Épouvantail
Premier dernier regard

D’abord, ils pensent au capitaine Diego de Villegas, qui a fait ses preuves dans des circonstances tout aussi risquées, mais le capitaine Villegas est mort. Quelqu’un nomme un certain Suárez, natif de Plasencia, à qui l’on connaît plus de quinze expéditions sans accroc, mais il s’avère que Suárez aussi est mort. Personne ne mentionne Nicolás de Obregón, parce que les sauvages Purépecha l’ont criblé de flèches, ni Antonio de Oña qui, après s’être rendu coupable de cruautés inqualifiables contre les Indiens païens, s’est ordonné prêtre pour protéger les Indiens païens. Pendant quelques instants, le nom de Pedro Gómez de Carandía soulève un certain enthousiasme, mais quelqu’un se rappelle que Pedro a enfin reçu une encomienda[1] l’année dernière et a donc rengainé son épée pour empoigner le fouet. Pablo de Herrera a été fait prisonnier sur ordre du gouverneur, pour des dîmes jamais encaissées ou encaissées deux fois, selon les versions ; Luis Velasco a tant rêvé de l’or des Sept Cités qu’il est devenu fou ; Domingo de Cóbreces s’est retrouvé sans Indiens à tuer et a repris son premier métier, l’élevage de porcs. Alonso Bernardo de Quirós a tout essayé pour gagner les faveurs du vice-roi sur les champs de bataille de la Nouvelle-Galice, de la Grande Chichimèque et de la Floride, et puis on l’a retrouvé pendu chez lui, une dernière missive pour le vice-roi épinglée à sa main droite. De l’adresse et la persévérance de Diego Ruiloba, personne n’en doute, pas plus que de la tiédeur de sa foi, raison suffisante pour l’écarter du commandement des armes en cette sensible occasion. Pour parvenir au nom idoine, il leur faut descendre encore, très bas dans la pile de parchemins, et transiger avec beaucoup de faiblesses et d’


[1] L’encomienda est une institution qui caractérise la colonisation espagnole en Amérique ; la couronne confie (encomendar) une partie des terres colonisées et ses habitants à un colon espagnol (encomendero) qui fera travailler ces derniers. Le terme a été adopté en français au XVIIe siècle. (Les notes sont de la traductrice.)

[2] Chef militaire ayant pris le pouvoir.

[3] Don Carlos Chichimecatecuhtli Ometochtzin, noble acolhúa de Tezcoco, a été brûlé vif en 1539 sur décision de l’Inquisition, accusé de polygamie et de culte préhispanique. Cette exécution, demandée par des Indiens christianisés, provoqua un scandale, car les autorités espagnoles y virent une erreur. Cela impliqua que par la suite les Indigènes ne soient plus concernés par les décisions de l’Inquisition espagnole en Amérique, lors de l’installation du Saint-Office en Nouvelle-Espagne, en 1571.

Notes

[1] L’encomienda est une institution qui caractérise la colonisation espagnole en Amérique ; la couronne confie (encomendar) une partie des terres colonisées et ses habitants à un colon espagnol (encomendero) qui fera travailler ces derniers. Le terme a été adopté en français au XVIIe siècle. (Les notes sont de la traductrice.)

[2] Chef militaire ayant pris le pouvoir.

[3] Don Carlos Chichimecatecuhtli Ometochtzin, noble acolhúa de Tezcoco, a été brûlé vif en 1539 sur décision de l’Inquisition, accusé de polygamie et de culte préhispanique. Cette exécution, demandée par des Indiens christianisés, provoqua un scandale, car les autorités espagnoles y virent une erreur. Cela impliqua que par la suite les Indigènes ne soient plus concernés par les décisions de l’Inquisition espagnole en Amérique, lors de l’installation du Saint-Office en Nouvelle-Espagne, en 1571.