Roman (extrait)

Trois enterrements

Dramaturge

« Je parie que lorsque nous réaliserons que cette “crise” des réfugiés n’est pas une crise, mais la nouvelle norme, nous commencerons à réfléchir aux raisons qui poussent tant de personnes à se déplacer à travers le monde », écrivait en 2015 Anders Lustgarten dans le Guardian. Pour son premier roman, à paraître chez Actes Sud dans la traduction de Claro, l’auteur de la pièce Lampedusa a mis en scène un road movie britannique. Où une infirmière en cavale rend hommage à sa façon à un réfugié assassiné. Chapitre 1 inédit.

OMAR

Ils sont sept en tout sur le bateau.

Un Afghan qui jure pouvoir les mener à bon port. Bizarre de la part d’un type venu d’un pays sans le moindre débouché sur la mer, mais personne d’autre ne s’en sent capable, donc à lui de jouer. Trois Iraniens et un Sénégalais. Juste des vaches à lait, qui ont payé pour le passage. C’est Omar et Abdi Bile qui ont tout planifié. Omar et Abdi Bile qui ont choisi dans le camp les candidats les plus aptes. Qui sont allés voir les pêcheurs français et sont revenus avec tout ce qu’ils ont pu acheter : un bateau à rames au moteur rouillé qui n’a jamais été plus loin que l’enceinte du port. C’est Omar et Abdi Bile qui ont le courage et la conviction, qui font croire aux autres que c’est possible.

Au début c’est la joie, alors qu’Omar et Abdi Bile poussent l’embarcation loin du rivage, en rigolant quand le froid saisit leurs jambes et en éclaboussant les autres comme des gamins. Les longues semaines de lassitude, de frustration et d’incertitude, tout ça est dissipé par la brise marine. Ils vont le faire. Ils vont y arriver.

L’excitation dure jusqu’à ce qu’ils arrivent en eaux profondes, et que les courants les emportent.

Le petit bateau est ballotté et secoué, il bondit hors de l’eau comme un saumon. Ils cherchent à se cramponner à quelque chose de solide mais il n’y a rien de solide, juste des sauts, des secousses et du roulis. Les courants arrachent la barre à leurs faibles mains et les trimballent dans tous les sens. Ils s’accroupissent sur le fond en bois et la panique les submerge. L’impuissance totale. Le sentiment de ne plus être maîtres de leur vie. Ils regardent droit devant eux tels des coureurs dans les starting-blocks, leurs doigts crochetés au bois, en essayant de se projeter vers l’autre rive à la seule force de leurs yeux. Omar doit faire la vigie. Il s’agenouille à la proue en protégeant ses yeux de l’écume. Abdi est à ses côtés, c’est lui qui pilote. Il a lancé l’appli Google Maps sur son téléphone, et ils sont un po


Anders Lustgarten

Dramaturge