Ce qui luit dans les ténèbres
Quand le mercredi
C’était sans appel, le déjeuner du dimanche devait être prêt à midi. La soupe, brûlante, fumer sur la table quand les douze coups sonnaient. Et ce n’était pas là le souhait de mon grand‑père. Mon grand‑père maternel, je veux dire, le grand‑père Tauber. Tel que je l’ai connu, il se serait satisfait d’une soupe tiède servie à une heure, lui n’était pas à cheval sur ce genre de choses. Il mangeait d’ailleurs à peine. Prenait rarement la parole, et pour dire peu de mots. Au moment de se lever de table, il remerciait pour le déjeuner en inclinant la tête. Mais impossible de savoir qui il remerciait au juste. Les remerciements étaient selon toute vraisemblance dus à ma grand‑mère, mais peut‑être pensait‑il à Dieu, au Dieu de je ne sais qui, je l’ignore à vrai dire. Il n’avait apparemment de goût pour aucune des vanités de ce monde. C’était un homme éthéré, maigre comme un clou, dont on voyait les côtes sous la peau de la cage thoracique. Quand il m’attirait à lui avec tact, quand il me lançait en l’air, allez vole, mon Péter, regardez comme il vole, pour me rattraper in extremis dans ma chute, hop, le petit oiseau est tombé, je me retrouvais tout contre son ossature décharnée ; je sens encore aujourd’hui les os de ses bras, de ses clavicules, de ses côtes saillantes contre moi.
Je ne m’explique en revanche toujours pas comment il pouvait évoquer avec une telle joie ce petit oiseau dans sa chute. Les petits oiseaux ne tombent que quand les chasseurs les abattent ou que le froid de l’hiver leur gèle les pattes.
Mon grand‑père maniait les sentiments avec une extrême réserve, je ne l’ai jamais vu s’emporter. Il se contentait à la rigueur de souligner d’un trait d’humour ceci ou cela. Quelque chose de menaçant, d’effrayant, couvait néanmoins sous son calme stoïque, ses filles le craignaient d’ailleurs, et moi encore davantage, bien que je ne puisse imaginer ce qu’il se serait passé une fois sa patience vraiment à bout. Son regard devenait orageux dès que quel