Brutes
1
«Où est‑elle ? »
On s’imagine que cette question, c’est sa mère qui sera la première à la poser. Elle va la dire une fois, pas trop fort, debout sur le seuil de la chambre de Sammy. Elle va voir le lit tout plat. Elle va voir la moustiquaire qui frissonne, arrachée à la fenêtre. La deuxième fois qu’elle posera la question, ce sera avec des trémolos, et la troisième fois plus fort, d’une voix devenue rauque.
Le père de Sammy va arriver en courant et poser la question lui aussi. « Où est‑elle ? » Au début d’une voix à peine audible, identique à celle que prennent nos petites sœurs quand elles viennent se glisser dans notre lit pour échapper aux rêves qui les harcèlent. La fois d’après il va exiger une réponse, comme si la chambre était une personne qui refuserait de passer aux aveux. Et la fois encore d’après il sera au téléphone, il parlera dans le combiné comme il parle pendant ses prêches à l’église, sur un ton respectueux, un ton calme, même quand il décrit le diable et l’enfer sans lésiner sur les détails.
La question va se propager par les câbles du téléphone, elle va obliger des hommes à se lever de leur chaise et à se mettre au volant de leur voiture.
La mère de Sammy va appeler sa propre mère, puis les femmes en ville qui ont sa confiance, et même si elles ne vont pas lui répéter la question en écho, elles vont raccrocher et appeler d’autres femmes, ou alors elles vont se précipiter hors de chez elles pour aller frapper à la porte des voisines, parce que la question s’impatiente, elle ne tolère pas la complainte du téléphone qui sonne dans le vide. On se l’imagine quitter la maison de Sammy et se répandre comme une onde qui laisse derrière elle le quartier résidentiel de Falls Landing, fonce sur la voie express, survole les décombres du chantier et prend d’assaut nos immeubles. Même le lac semble se hérisser, sa surface chatouillée par la question qui se déplace à la façon d’un vent primitif et menaçant.
La nuit barbouille le ciel lentement, puis tout d’un