Searoad
Navire en vue
Le Goéland blanc était le très bon motel de la ville. Il était géré depuis 1964 par la famille Brinnesi, qui l’entretenait très bien : moulures blanches refaites tous les trois ou quatre ans sur la façade des seize chalets aux toits de bardeaux, bois débité pour les cheminées, jardinière de fleurs à chaque porte d’entrée, fourneau et réfrigérateur en bon état dans toutes les kitchenettes. Depuis quelques années, ils demandaient soixante dollars la nuit pour les bungalows avec vue sur la mer ; le week-end, à la belle saison, ils n’acceptaient que des réservations pour deux nuitées au moins et affichaient quand même complet. Mme Brinnesi ne portait que des robes, jamais de pantalon ; croyante, elle allait à la messe tous les dimanches à l’église catholique Saint-Joseph, un peu plus loin sur la côte, faisait des retraites spirituelles et fréquentait les réunions des dames de la congrégation. Brinnesi n’avait pas peur de dire aux clients que s’ils voulaient boire, faire la fête sans souci du bruit ou se comporter de manière immorale, ils n’avaient qu’à se trouver un autre motel, dans une autre ville. Des gens stricts, les Brinnesi. Leur fils avait mal tourné. Au lycée, déjà, il semait la pagaille, puis il avait filé à Portland où il était devenu une espèce de hippie, et on ne savait même plus où il habitait désormais. Une fois, à la station-service, Tim Merion avait entendu dire qu’il avait le sida et vivait à San Francisco. Reste que les Brinnesi étaient de bons voisins et le Goéland blanc, un motel dont on pouvait être fier en ville.
Et puis, de l’autre côté de la rocade, en montant sous les aulnes et les épicéas, il y avait le Repaire d’Hannah. Les gens pensaient qu’Hannah était la dame qui avait donné son nom au motel, mais M. Voder, par exemple, les aurait détrompés : l’hôtel avait été fondé au temps de la Grande Dépression par un dénommé John Hannah, un excentrique de Portland qui avait gagné un peu d’argent dans le bois de construction. Il avait com