Fiction

I. Ici

Joy est allée chercher Félicité à l’aéroport. Elle lui a dit « bienvenue » et elles ont éclaté d’un rire nerveux, il y avait de la gêne dans leurs regards. Au milieu des voyageurs pressés d’arriver, visages fatigués, leur accolade prolongée simulait parfaitement l’effusion de retrouvailles émues entre amies longtemps séparées. Elles ont immédiatement senti un silence imprévu s’enrouler autour des longues formules qu’elles s’offraient.

Le trajet interminable en bus, puis métro, puis tram a été entrecoupé de consignes et d’explications sur l’usage de ce monde. Prix, horaires, fonctionnement technique. L’esprit embrumé de Félicité a tenté d’enregistrer, déjà dépassé par tant de nouveautés.

Les valises de l’une ont été posées dans la petite entrée, à côté de celles, déjà bouclées, de l’autre. Elles n’avaient que 12 heures à passer ensemble. Ça serait une journée particulière. Deux oiseaux qui se croisent au mitan du ciel, chacun regardant dans la direction opposée. Lequel se trompe de saison ? Le Nord et le Sud ne sont plus ce qu’ils étaient.

« Je vais habiter chez Doudou, le temps de faire toutes les démarches. On m’a dit qu’ensuite je pourrais avoir une place dans un foyer pour jeunes filles, même si je n’ai plus vingt ans. »

« Tu veux reprendre les études ? »

« Si Dieu le veut oui, sinon je vais d’abord travailler. »

« Tu sais le travail est de plus en plus rare ici, prépare-toi à ce qu’on ne te propose que des ménages. Même pour garder les enfants et les vieux maintenant il faut passer des examens. »

« Le chômage est bien plus élevé chez nous. » Félicité a vu que cette remarque déplaisait à son amie, alors elle a ajouté rapidement : « Sauf pour les gens qui ont fait leurs études en Occident comme toi, tu ne rencontreras sûrement pas les mêmes problèmes que moi. »

« Ici mes diplômes ne semblent servir à rien. J’ai réalisé un peu tard que j’ai visé plus haut qu’il ne m’était autorisé. Nom, carnation, carnet d’adresses, je n’avais rien de bon. »

Félicité aurait