Poème

Frayure

Écrivaine

En ces jours de COP30, Caroline Lamarche, dont le magnifique roman Le Bel Obscur a frôlé le prix Goncourt (mais il n’en avait pas besoin pour qu’on lui reconnaisse son importance), écrit une lettre aux fleurs et aux animaux de la forêt. Un « rêve consolant », un tableau, un ami, un « oiseau convoquant l’avenir », des genêts. Et un cerf qui fraye – frotte ses bois contre les arbres pour que tombe le velours qui les recouvre lorsqu’ils poussent.

pour Patrick

 

J’ai fait ce rêve :

Dans une pièce lumineuse aux murs nus,

évoquant le séjour d’un ami

qui n’y a placé qu’un petit tableau représentant un paysage de forêt

(ce tableau n’apparaît pas dans le rêve)

il me confie autour d’une tasse de café noir

qu’il a rêvé que je lui écrivais une lettre.

Au réveil je me dis

que c’est le rêve de l’ami dans mon rêve

mais qu’en réalité c’est moi qui viens de rêver

et que les lignes que je trace ici

sont peut-être le début d’une lettre.

 

Quelques jours après le rêve je le rejoins

dans sa maison en bord de forêt

nous buvons du café noir en feuilletant

ses livres de botanique et d’ornithologie

et je ne lui parle pas de mon rêve.

 

Occupation de notre temps au dehors :

une mare où grenouilles et tritons

échappent à la sécheresse qui règne

implacablement depuis trois mois.

Berges craquelées, de l’eau juste assez

pour une menue vie aquatique.

La petite grenouille verte boit le soleil en surface.

Il la nomme pelophylax lessonae.

— le latin lui semble aussi poétique

qu’un vers du De Rerum Natura de Lucrèce.

 

D’accord, Bufo bufo, c’est plus joli que crapaud commun.

mais pour le reste j’ai une mémoire de poisson rouge

elle zigzague pire que les libellules

éclairs bleutés à la surface.

Parfois même elle se noie

telle l’abeille à qui je tends un caillou,

trempée et lourde elle se hisse à grand-peine,

la voilà déposée dans l’herbe.

 

Puis nous partons à travers la prairie

où croissent les fleurs sauvages

Il les nomme, je ne les retiendrai pas :

la petite pimprenelle, le sainfoin,

la vipérine, l’hélianthème,

la germandrée et la chlore…

Toujours je confondrai

les lamiacées et les gentianacées

les fabacées et les apiacées.

Peu importe, car nous voilà en haut du pré

pour que, dit-il, le paysage m’instruise.

 

C’est un pays de bocage et de bois

alternance de verts tendres et sombres

ondulations reposantes au regard.

Autrefois, il y a des millions d’années

c’était, paraît-il, la toundra

couverte de neige la moitié de l’année.

Avant encore


Caroline Lamarche

Écrivaine, Romancière, poète, nouvelliste

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