Frayure
pour Patrick
J’ai fait ce rêve :
Dans une pièce lumineuse aux murs nus,
évoquant le séjour d’un ami
qui n’y a placé qu’un petit tableau représentant un paysage de forêt
(ce tableau n’apparaît pas dans le rêve)
il me confie autour d’une tasse de café noir
qu’il a rêvé que je lui écrivais une lettre.
Au réveil je me dis
que c’est le rêve de l’ami dans mon rêve
mais qu’en réalité c’est moi qui viens de rêver
et que les lignes que je trace ici
sont peut-être le début d’une lettre.
Quelques jours après le rêve je le rejoins
dans sa maison en bord de forêt
nous buvons du café noir en feuilletant
ses livres de botanique et d’ornithologie
et je ne lui parle pas de mon rêve.
Occupation de notre temps au dehors :
une mare où grenouilles et tritons
échappent à la sécheresse qui règne
implacablement depuis trois mois.
Berges craquelées, de l’eau juste assez
pour une menue vie aquatique.
La petite grenouille verte boit le soleil en surface.
Il la nomme pelophylax lessonae.
— le latin lui semble aussi poétique
qu’un vers du De Rerum Natura de Lucrèce.
D’accord, Bufo bufo, c’est plus joli que crapaud commun.
mais pour le reste j’ai une mémoire de poisson rouge
elle zigzague pire que les libellules
éclairs bleutés à la surface.
Parfois même elle se noie
telle l’abeille à qui je tends un caillou,
trempée et lourde elle se hisse à grand-peine,
la voilà déposée dans l’herbe.
Puis nous partons à travers la prairie
où croissent les fleurs sauvages
Il les nomme, je ne les retiendrai pas :
la petite pimprenelle, le sainfoin,
la vipérine, l’hélianthème,
la germandrée et la chlore…
Toujours je confondrai
les lamiacées et les gentianacées
les fabacées et les apiacées.
Peu importe, car nous voilà en haut du pré
pour que, dit-il, le paysage m’instruise.
C’est un pays de bocage et de bois
alternance de verts tendres et sombres
ondulations reposantes au regard.
Autrefois, il y a des millions d’années
c’était, paraît-il, la toundra
couverte de neige la moitié de l’année.
Avant encore
