Works
Comment tout a commencé
I meant at first to write a book discussing my themes and illustrating them
with narrative taken up at any point in time that I chose[1].
Stephen Spender
World Within World
À un moment donné, j’en ai eu assez. J’étais fatigué de m’acharner sur les pédales pour ne pas rester à la traîne, en sachant parfaitement que, de toute façon, en dépit de tous mes efforts, je me ferais inexorablement semer. Même dans les descentes, je me faisais semer. Le problème, ce n’était pas moi, mais cette connerie de bicyclette de fille, modèle dit américain, vert foncé métallisé, avec des garde-boue chromés bien trop gros, à l’avant et à l’arrière, lourde, sans dérailleur ni barre. C’était surtout ça qui me dérangeait : qu’elle n’ait pas de tube, ce qui en faisait sans la moindre équivoque une bicyclette de fille, alors que tous mes copains, ceux qui, comme je l’ai dit, me semaient régulièrement, avaient un vélo avec une barre ; certains avec dérailleur, d’autres sans, avec un guidon sportif ou pas sportif, un vélo datant parfois de plus de vingt ans, mais avec une barre. Du reste, c’est ainsi que vont les choses, ou plutôt qu’elles allaient à cette époque-là, si on avait le malheur d’arriver deuxième et de se retrouver, comme dans mon cas, avec une sœur plus vieille de sept ans. Un temps, quand j’étais petit, comme on le voit sur les photos, j’avais même porté ses habits et joué avec ses poupées. Heureusement, ça n’a pas duré longtemps. Mais les vélos, c’était une tout autre affaire : d’abord j’avais hérité de sa bicyclette d’enfant, évidemment sans barre, sur laquelle, à l’âge de neuf ans, avec un certain retard par rapport aux gamins de mon âge, qui filaient dans la rue à toute blinde depuis quelques années déjà, j’avais appris à faire du vélo, expérience qui m’avait profondément marqué – marqué au sens physique du terme, vu que, en tombant de manière répétée sur le bitume de la via Dante tandis que je m’exerçais, non content de m’être écorché les coudes et les
