Société

Je suis un mammifère omnivore

Philosophe

Enfermés dans une posture morale, les véganes se condamnent à l’impuissance politique. Pour répondre aux défis posés par l’urgence écologique et par l’insupportable souffrance animale, il doivent sortir de leur opposition frontale avec les carnivores et chercher des alliances du côté de ceux qui sont prêts à une consommation éthique. Proposition pour un post-véganisme.

Peut-on encore ne pas être végane ? La question est rarement posée aussi brutalement, mais tout ce qu’on entend sur le sujet conduit au même constat : il faut être végane aujourd’hui, car manger les animaux est une violence inacceptable à leur égard. Une telle injonction suppose que l’on n’a le choix qu’entre deux attitudes : être végane ou accepter la souffrance animale. Comme toute mise en demeure, celle-ci est non seulement simpliste mais de surcroît contre-productive.

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Être végane est peut-être l’obligation morale de l’époque, mais tous les véganes ne sont pas moralisateurs. Il existe des véganes esthétiques (être végane rend plus beau, par exemple en évitant de prendre du poids), des véganes hygiéniques (être végane permet d’être en meilleure santé), des véganes écologistes (être végane permet de réduire le réchauffement climatique), des véganes éthiques (être végane comme mode de vie assumé comme tel), des véganes physiologiques qui le sont parce que manger de la viande les dégoûte, pour une raison ou pour une autre – et sans doute des véganes qui le sont pour casser les pieds aux carnivores, pardon : aux carnistes, parce qu’un grand nombre de ces derniers sont quand même des têtes à claques. Le végane moyen est un mélange de toutes ces raisons, dans des proportions qui varient d’un individu à l’autre. La plupart des véganes qui s’expriment publiquement sont cependant moralisateurs : ils ne veulent pas manger d’animaux parce que ce n’est pas moral de le faire ; les manger les fait souffrir et une telle pratique va contre leurs intérêts – et en plus, c’est mauvais pour l’écologie.

Les véganes aiment ironiser sur le « cri de la carotte ». Ils ne devraient pas. Ils adoptent ainsi la même attitude que ceux qui ironisent sur le souci porté à l’animal.

Le premier problème est éthique. Pour un anarchiste comme moi, quiconque brandit des valeurs morales devient quelqu’un d’éminemment suspect. On peut être prêt à reconnaître des valeurs positives à des valeur


Dominique Lestel

Philosophe, Maître de conférences à l'École Normale Supérieure

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