Géopolitique

L’horizon de la guerre mondiale

Historien

La guerre de 2018 n’est plus la guerre de 1918. Peut-on d’ailleurs utiliser le même vocabulaire, le même répertoire pour appréhender des actes qui nous semblent inqualifiables ? Cette difficulté à nommer les enjeux, mais aussi à envisager les nouvelles menaces, conduit à une situation paradoxale où la guerre telle que nous l’imaginons – mondiale, majeure, étatique – semble s’éloigner, alors même que la violence et les conflictualités sont omniprésentes et requièrent une action politique.

 

« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. » Cette scène qui inaugure La Jetée de Chris Marker en 1962 est celle de la mort de l’homme qui tente d’échapper à son futur. Le film explore les effets d’un horizon barré par la guerre mondiale – la troisième – ; une apocalypse atomique a enterré littéralement ce qui reste de l’humanité, réduite à creuser des tunnels sous la terre comme dans le temps. Il y a chez Chris Marker la description brutale de l’absence d’horizon du fait de la guerre. En 1962, cette guerre est nucléaire et n’offre plus d’avenir aux humains. L’humanité est réduite à une demie vie de laboratoire et de souffrances faute de comprendre ce qui lui arrive. Ce film a un contexte, celui du tournant des années 1960, le pic nucléaire de la guerre froide.

Il n’est pas le seul à s’intéresser à l’horizon de la guerre à venir ; les grands films de batailles de la seconde guerre mondiale sont un genre en soi qui répètent le schéma déjà vu d’une guerre conventionnelle en Europe de l’ouest. En miroir, Le jour le plus long, la grande saga mythologique réalisée par Darryl Zanuck en 1963, revient sur le problème posé par Marker. Si on ne peut plus penser la guerre future qui est, en 1963, une guerre atomique, il est toujours possible, face à l’angoisse de l’horizon, d’encore une fois raconter le passé rassurant.

Ce dialogue de films est structuré par le même problème : penser et raconter la guerre à venir dans un temps d’incertitude. Olivier Mongin rappelait dans Esprit (2018) à quel point Chris Marker se définissait comme participant d’une génération Giraudoux, formée dans la pensée et peut-être surtout dans la conjuration de la guerre à venir. La peur de l’avenir, comme une promesse à la fois actuelle et indistincte de guerre, a comme un air déjà vu pour la France de 2018.

Si nous avons la conscience de la menace qui pèse sur nous, notre société comme notre classe politique peinent à nommer ce qui est devant nous. Or, nommer les enjeux et, pa


David Dominé-Cohn

Historien, Professeur en collège REP