Politique

Face au présent, une expérience utopique plus que jamais nécessaire

Historienne

Les savoirs ne semblent plus agir sur le présent. Une situation grandement imputable à une certaine conception de l’histoire, entendue comme simplement ce qui nous arrive, et non pas ce qui arrive par nous. Pour retrouver cette puissance d’infléchir le réel, d’articuler la pensée à l’action, l’expérience utopique semble plus que jamais nécessaire.

Notre présent est devenue promesse d’inhumanité. Dark times. Changement climatique qui annonce la catastrophe, migrations qui témoignent de la possibilité effective et toujours plus grande de laisser mourir, victoire des populismes droitiers en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, tout nous rappelle à la fragilité des idéaux conquis dans une longue histoire de luttes qui commence peut être avec la conquête de l’Amérique et la création d’un droit dit naturel pour tous les hommes par l’école de Salamanque et qui semble s’achever sous nos yeux. Le retour de l’eugénisme et d’une hiérarchie des individus dans l’imaginaire de l’homme augmenté, et voilà ceux qui pensent encore que l’humanisme mérite attention plongés dans un vrai cauchemar.

Mais ces dark times voisinent avec des savoirs d’une très grande qualité. Un nombre incroyable de chercheurs observent, réfléchissent avec une pensée aiguisée et une critique réelle, ce qui se passe au présent. Nous savons de ce fait, implicitement ou même explicitement, ce qu’il faudrait faire pour enrayer la crise climatique. Nous savons que le capitalisme tue les pauvres en Asie, les expulsent violemment des villes qui ont poussé avec la croissance échevelée, nous savons quelle solidarité municipale ou communale, voire même étatique, aurait permis de les aider à rester là où ils vivaient et à maintenir ainsi leur droit à l’existence, nous savons qu’il faudrait à nouveau contrôler le capitalisme par des règles rigoureuses si nous souhaitons plus de solidarité, plus de responsabilité, et nous savons que le droit renonçant à son hétéronomie fondatrice prend le chemin inverse.

Le train est lancé à grande vitesse mais personne n’active l’avertisseur d’incendie qui pourrait l’arrêter, car l’activer ce n’est pas juste savoir, c’est aussi agir.

Mais ce que les savoirs mettent au jour ne semble pas avoir de réelle influence. Pour parler à la manière de Walter Benjamin, le train est lancé à grande vitesse mais personne n’active l’avertisseu


Sophie Wahnich

Historienne, Directrice de recherches en histoire et science politique au CNRS, équipe Transformations radicales des mondes contemporains de l'IIAC et de l'EHESS

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Nuit des idées