Politique

Prostitution : victoire juridique d’une imposture politique

Sociologue

N’en déplaise à la mouvance abolitionniste : ce n’est pas parce que le Conseil Constitutionnel vient de déclarer conforme la loi de 2016 sur la prostitution qu’elle ne devrait pas rapidement faire l’objet d’une véritable évaluation indépendante tant certaines de ses conséquences s’avèrent délétères pour de très nombreuses prostituées, plus fragilisées que jamais.

Le Conseil constitutionnel a donc rendu, ce 1er février, son avis sur la loi « entendant renforcer la lutte contre le système prostitutionnel » promulguée le 13 avril 2016 et dont la mesure phare est la pénalisation de l’achat de services sexuels. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC), adressée par les associations de santé publique ou représentantes du « travail du sexe », a reçu une réponse négative : la loi est conforme à la constitution et peut continuer à être appliquée.

On se rappelle que cette loi avait été adoptée après un processus houleux. Le Sénat, notamment, avait opposé une résistance farouche à la volonté des députés d’instaurer une pénalisation des clients des prostituées. Tout un secteur associatif – le même que celui porteur de la QPC – s’était élevé contre une mesure risquant de renforcer la clandestinité et la précarité des personnes qu’elle prétendait secourir.

La victoire finale des députés avait surtout bénéficié de l’intense lobbying d’un autre secteur associatif, antagoniste au premier et tenant d’une abolition de la prostitution perçue comme une violence sexiste attentatoire à la dignité des personnes qui l’exercent. Résultant d’un improbable attelage, la mouvance abolitionniste contemporaine réunit certains des secteurs les plus institutionnels du féminisme français et des organisations œuvrant de longue date pour le salut des prostituées, pour certaines liées à l’Église catholique.

L’avis du Conseil constitutionnel est avant tout une victoire pour cette mouvance, ainsi confirmée dans sa détermination à éradiquer la prostitution en s’attaquant à ses clients. Le communiqué publié par trois de ses principales composantes – Osez le féminisme, le Mouvement du Nid et la Coordination française pour lobby européen des femmes – mérite qu’on s’y arrête tant il est représentatif des inconséquences de cette mouvance et de l’imposture de ses positions.

Les propos de Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme, reproduits dans le comm


[1] Soulignons à ce propos que, particulièrement exposées, les prostituées savent faire la différence entre une passe (un contact sexuel régi non par le désir mais par la recherche d’un gain matériel) et une agression sexuelle. La disqualification de l’expérience des prostituées à laquelle se livrent les féministes qui assimilent leur activité au viol est de fait la même que celle des policiers qui refusent les plaintes des prostituées victimes de viol en arguant que leur activité consistant en des rapports sexuels multiples et sans plaisir, un de plus ou de moins ne saurait faire une différence significative.

[2] Les policiers sont réticents à engager des investigations sur dénonciation des prostituées, suspectant fréquemment une instrumentalisation du droit dans l’attente d’une régularisation.

[3] Les chiffres de 2017 se trouvent ici : http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/references-statistiques-justice-12837/justice-penale-donnees-2017-32044.html ; ceux des années 2000 à 2009 sont rassemblés dans Danielle Bousquet, Guy Geoffroy, Prostitution : l’exigence de responsabilité, Assemblée nationale, Commission des lois, n° 3334, 2011, p. 133.

[4] La dignité occupe, dans les débats sociétaux contemporains, la place autrefois dévolue aux bonnes mœurs, ainsi que le montre Daniel Borrillo dans son livre Disposer de son corps : un droit encore à conquérir (Paris, Textuel, à paraître le 10 avril 2019).

[5] La loi d’avril 2016 s’est en revanche montrée à même d’atteindre d’autres objectifs moins avouables, telle l’éviction des prostituées des territoires urbains. Elle s’est révélée de ce point de vue une alternative efficace à la répression du racolage introduite par la « loi Sarkozy » de 2003 qui visait déjà le même objectif. De fait, les prostituées chassées des centres villes après 2003 n’y sont pas revenues depuis 2016 mais sont restées dans les zones périphériques et sur les bordures de route.

Lilian Mathieu

Sociologue, Directeur de recherche au CNRS

Mots-clés

Féminisme

Notes

[1] Soulignons à ce propos que, particulièrement exposées, les prostituées savent faire la différence entre une passe (un contact sexuel régi non par le désir mais par la recherche d’un gain matériel) et une agression sexuelle. La disqualification de l’expérience des prostituées à laquelle se livrent les féministes qui assimilent leur activité au viol est de fait la même que celle des policiers qui refusent les plaintes des prostituées victimes de viol en arguant que leur activité consistant en des rapports sexuels multiples et sans plaisir, un de plus ou de moins ne saurait faire une différence significative.

[2] Les policiers sont réticents à engager des investigations sur dénonciation des prostituées, suspectant fréquemment une instrumentalisation du droit dans l’attente d’une régularisation.

[3] Les chiffres de 2017 se trouvent ici : http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/references-statistiques-justice-12837/justice-penale-donnees-2017-32044.html ; ceux des années 2000 à 2009 sont rassemblés dans Danielle Bousquet, Guy Geoffroy, Prostitution : l’exigence de responsabilité, Assemblée nationale, Commission des lois, n° 3334, 2011, p. 133.

[4] La dignité occupe, dans les débats sociétaux contemporains, la place autrefois dévolue aux bonnes mœurs, ainsi que le montre Daniel Borrillo dans son livre Disposer de son corps : un droit encore à conquérir (Paris, Textuel, à paraître le 10 avril 2019).

[5] La loi d’avril 2016 s’est en revanche montrée à même d’atteindre d’autres objectifs moins avouables, telle l’éviction des prostituées des territoires urbains. Elle s’est révélée de ce point de vue une alternative efficace à la répression du racolage introduite par la « loi Sarkozy » de 2003 qui visait déjà le même objectif. De fait, les prostituées chassées des centres villes après 2003 n’y sont pas revenues depuis 2016 mais sont restées dans les zones périphériques et sur les bordures de route.