Savoirs

Ce que l’histoire peut dire de la littérature

Historienne

« Lire en historienne » c’est considérer un écrit littéraire du passé comme un ensemble de traces historiques. En partant d’une nouvelle de Jules Barbey d’Aurevilly, La vengeance d’une femme , Judith Lyon-Caen expérimente la littérature comme une manifestation d’être au monde et met ainsi ainsi en évidence ce que l’histoire peut apporter à la littérature.

Les discussions sur la déconstruction proposée par le linguistic turn ont profondément marqué les historiens formés, comme je l’ai été, dans les dernières décennies du XXe siècle : en 1973, Metahistory d’Hayden White avait semblé réduire le récit historiographique à un type particulier de fiction — « a form of fiction-making operation » ; en réponse, et sur fond de hantise du négationnisme, Carlo Ginzburg rappelait que, pour être une construction, le récit historiographique se distingue radicalement de la fiction en ce qu’il vise la vérité, rend compte de son enquête et produit ses preuves (voir cet ouvrage).

Mais les travaux de Ginzburg nous ont aussi incité à apprécier les « potentialités cognitives des dispositifs formels ». Cette injonction a eu, sans doute, deux effets : d’une part, celui d’inviter les historiens à méditer sur la « nature des savoirs dont la littérature est porteuse » (voir cet article) ; d’autre part, de les inciter à faire preuve d’inventivité formelle – mais y avaient-ils jamais renoncé ? –, pour composer des textes qui combineraient l’exigence scientifique de la preuve et la création littéraire (voir cet ouvrage).

Dans les dernières années, nombre de publications ont relancé les débats sur ce qui fait de « la littérature » cet autre, désirable ou dangereux, de l’écriture et du savoir historique. Mais ces débats laissent souvent de côté le fait que la littérature concerne aussi les historiens en tant qu’objet de recherche. Ils la croisent dans leur travail comme un phénomène du passé : la documentation mobilisée par les historiens comprend aussi, souvent, des écrits qui ont été produits, en leur temps, comme « littéraires » ou qui se sont trouvés qualifiés et reçus comme tels au fil du temps ; l’activité littéraire, l’usage du terme de « littérature » pour désigner des productions écrites et des formes de publication des écrits, sont des faits historiques ; les femmes et les hommes du passé étaient, pour certains, des lecteurs de littératur


Judith Lyon-Caen

Historienne, Directrice d'études à l'EHESS