Économie

Réforme de l’assurance chômage : renouer avec le caractère salarial de la protection

Sociologue, Sociologue, Sociologue

Telle qu’annoncée fin février par le Premier ministre et la ministre du travail, la prochaine réforme de l’assurance chômage inquiète autant par ses dispositions que par ses silences. Et notamment s’agissant du lien devenu de plus en plus étroit entre cotisations et prestations. Une véritable réforme devrait rompre avec le principe d’une épargne de droits et renouer avec la logique salariale.

Dans leur discours du 26 février dernier, le Premier ministre et la ministre du Travail ont présenté le système d’indemnisation du chômage français comme devant faire l’objet d’une réforme d’ampleur.

Leur propos était largement centré sur l’objectif de lutter contre les contrats courts en changeant les règles de l’assurance chômage. Deux leviers étant envisagés : « responsabiliser les entreprises » et revoir à la baisse les droits des allocataires qui occupent ces contrats. Or, le passé de l’assurance chômage et des régulations du marché du travail permettent de montrer que ces deux leviers sont voués à l’échec.

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Concernant la « responsabilisation des entreprises », si ce discours est resté relativement flou, le projet du gouvernement est connu : il s’agit de mettre en place un système de modulation des cotisations (à la hausse et à la baisse) en fonction de la durée des contrats. Plusieurs scenarii pour réaliser cette modulation ont déjà été évoqués. Quelles que soient les différences entre eux, ils reposent toujours sur le fait de mettre en place une régulation du marché du travail fondée sur une incitation financière. L’idée est double. Premièrement, renchérir le coût du travail pour les contrats courts conduirait à désinciter les employeurs à recourir à ces contrats et à leur substituer des emplois plus stables. Deuxièmement, pour les cas où les employeurs choisiraient le contrat court, la surcotisation viendrait compenser le coût pour la société de ce contrat court.

Les expériences existantes montrent que les effets désincitatifs de ce renchérissement sont très faibles voire nuls. Le recours au travail temporaire présente depuis toujours un surcoût important pour les employeurs, surcoût qui n’a pas empêché un large développement de ce secteur. Il y a des précédents d’augmentation des cotisations patronales à l’assurance chômage pour lutter contre la précarité. Les majorations en vigueur de 2014 à 2017 qui portaient sur les CDD de trois mois ou moins, certes faibles (entre 0,5 et 3 points de majoration) n’ont eu d’effet significatif ni sur la précarité, ni sur les comptes de l’assurance chômage. Depuis 2002, dans le secteur du spectacle (Annexes VIII et X) les cotisations ont été augmentées de manière plus importante puisqu’elles ont été doublées. On a suffisamment de recul pour savoir que cette mesure n’a entrainé de création de CDI ni pour les artistes, ni pour les techniciens.

Moduler les cotisations d’assurance chômage revient à ne moduler qu’une part extrêmement réduite du coût salarial. On ne voit pas par conséquent comment le renchérissement de quelques euros du coût d’un CDD pourrait conduire les employeurs à préférer le CDI. Soulignons au passage que la modulation ne permettra pas non plus de renflouer significativement les caisses de l’assurance chômage. Si, comme l’a rappelé le Premier ministre, la majorité des embauches se fait aujourd’hui en CDD, il n’en demeure pas moins que plus de 85 % des salariés sont en CDI. La majoration ne portera donc que sur une minorité des cotisations. En revanche le bonus, lui, concernera une masse considérable de contrats stables mettant ainsi en cause une source essentielle du financement de l’assurance chômage.

Si le discours gouvernemental est inquiétant pour les propositions qui y figurent, il l’est au moins autant pour les éléments qui en sont absents.

Le deuxième levier envisagé concerne la réforme des droits des salariés qui occupent des contrats courts. Passons l’ironie qu’il y a à supprimer ces droits (parcellaires) après les avoir instaurés pour inciter les chômeurs à occuper ces emplois, au nom du principe selon lequel un mauvais emploi est préférable à pas d’emploi du tout (principe qui reste par ailleurs défendu par ce gouvernement). L’argumentaire mobilisé consiste à dire que pour limiter les contrats courts, il faut limiter les droits de ceux qui occupent ces contrats, comme si les précaires faisaient le choix de la précarité au prétexte d’une indemnisation du chômage généreuse. De fait, cette mesure qui consiste à faire porter sur les précaires la désincitation à la précarité risque fort d’être sans effet. Là aussi, des précédents existent pour le montrer. La réduction des droits des allocataires en activité réduite a déjà été entamée en 2017 (et en 2014 pour les intérimaires) : cela n’a pas conduit à une diminution de la précarité.

Si le discours gouvernemental est inquiétant pour les propositions qui y figurent, il l’est au moins autant pour les éléments qui en sont absents. Alors qu’il est question de « problèmes » et de « dysfonctionnements » du système d’assurance chômage, pas un mot de la faiblesse du taux de couverture, ni des niveaux d’indemnisation très bas pour une part importante des indemnisés. En matière de dysfonctionnement, il aurait fallu pointer le fait que, depuis de nombreuses années, l’indemnisation par l’Unédic ne couvre qu’environ la moitié des demandeurs d’emploi. Cette caractéristique s’est d’ailleurs accentuée puisqu’alors qu’un peu plus de 52 % des chômeurs étaient indemnisés par l’Unédic en 2003, ils sont environ 43 % en 2017. Soit une chute de 18 %. Soulignons que cette caractéristique n’est pas seulement absente du discours gouvernemental mais fait l’objet d’une invisibilisation organisée[1]. Autre élément laissé dans l’ombre : les montants très faibles d’indemnisation pour nombre de demandeurs d’emploi (50% des chômeurs indemnisés perçoivent moins de 950€ par mois).

Ces deux éléments résultent en grande partie d’une évolution qu’a connu le régime d’assurance chômage depuis les années 1980 : le lien entre cotisations et prestations est devenu de plus en plus étroit. La convention de 1984 a créé ce qu’on a appelé les « filières d’indemnisation », c’est-à-dire des catégorisations de droit selon les durées d’indemnisation préalables. A une durée de cotisation a été associée une durée de prestation (à titre d’exemple, en 1984, un allocataire qui a cotisé 182 jours a droit à 120 jours d’indemnisation). Les conventions qui se sont succédé depuis ont chacune renforcé ce lien. Cette logique a atteint son paroxysme en 2009 lorsqu’est introduit le principe : « un jour cotisé = un jour indemnisé ». Notons que cette égalité entre cotisation et prestation, présentée comme « incontestablement » juste, connaît de nombreuses restrictions : il faut avoir cotisé au moins quatre mois et la durée d’indemnisation est limitée à 24 mois (36 pour les plus de 53 ans aujourd’hui) quelle que soit la durée de cotisation antérieure.

Cette introduction d’un lien de plus en plus étroit entre cotisation et prestation a transformé l’assurance chômage en compte épargne chômage. L’allocataire accumule des droits en fonction de sa durée de cotisation sur lesquels il a un droit de tirage individuel. Ce lien conduit à exclure massivement les chômeurs qui ne parviennent pas à ouvrir des droits ou qui n’étaient parvenus qu’à ouvrir des droits de courte durée et qui épuisent donc leurs droits avant d’avoir retrouvé un emploi et, plus souvent encore, avant d’avoir retrouvé un emploi stable.

La seconde conséquence du fait de fonder les règles sur ce lien est l’incapacité du régime à indemniser correctement les parcours non linéaires d’emploi. Pour ceux qui parviennent à ouvrir des droits, il ne s’agit que de « petits » droits en montant et en durée car, occupant des emplois de courte durée et / ou avec peu d’heures qui sont aussi des emplois avec des niveaux de rémunération faibles, ils n’ont que faiblement cotisé. C’est d’ailleurs pour cela qu’au nom de la lutte contre la précarité, des dispositions ont été prises pour inciter à l’occupation de ces emplois « courts ». Les « droits rechargeables » sont emblématiques de ces dispositions. Depuis 2014, pour inciter à la reprise d’un emploi, même court, à partir de 150 heures cotisées, il est possible d’ajouter ces cotisations au droit préalablement accumulé. Pour les allocataires, la barrière de quatre mois de cotisation est donc remplacée par une barrière à un mois de cotisation pour ouvrir un nouveau droit à la suite du précédent. Ces dispositions ne sont pourtant pas parvenues à augmenter le taux de couverture des indemnisés.

Il faut rompre avec le fonctionnement de l’assurance chômage comme une épargne de droits et renouer avec la logique salariale.

Face à ces évolutions, l’urgence n’est donc pas à réduire les droits des précaires comme annoncé par le gouvernement mais à modifier les règles pour indemniser le chômage quelle qu’en soit la forme (intermittence, activité conservée ou chômage total). Pour cela, il faut rompre avec le fonctionnement de l’assurance chômage comme une épargne de droits et renouer avec la logique salariale. Cette logique permettrait de fonder des règles qui augmenteraient la couverture et le niveau de la protection contre le chômage et d’en assurer le financement. Comme lors de la création de l’assurance chômage, le critère de cotisation préalable doit seulement attester du statut de salarié et non déterminer la durée du droit.

L’idée qu’apporter des droits aux précaires serait encourager la précarité est absurde : le travail paie déjà plus que le chômage, contrairement à ce qu’affirme le Premier ministre[2] et les précaires n’ont pas à assumer la soi-disant désincitation à la précarité. Un taux de cotisation unique au niveau interprofessionnel est l’instrument du financement de cette protection contre le chômage, comme il l’a été pour la Sécurité sociale en 1945. Une augmentation de 1 % de cotisation chômage pour l’ensemble des salariés rapporterait environ 5 milliards d’euros. Ce montant est donc incomparablement supérieur aux gains de financement attendus par un éventuel bonus-malus. Cette approche participerait à la sécurisation des parcours dont le gouvernement ne cesse d’annoncer l’imminence comme contrepartie à la flexibilité accordée aux entreprises par les ordonnances Travail.

En apportant une couverture protectrice à l’ensemble des salariés, cette assurance chômage permettrait d’accompagner les transitions entre deux emplois qu’elles soient subies ou choisies. Elle serait un outil de lutte contre la précarité et de résistance aux pressions patronales bien plus efficace que les supposées incitations gouvernementales – qu’il s’agisse de l’incitation aux employeurs à réduire la précarité en modulant leurs cotisations ou aux précaires à ne pas s’enfermer dans la précarité en réduisant leurs droits. En somme, il s’agit de renouer avec la logique de socialisation du salaire contre la logique de compte épargne de droit qui se développe en matière de couverture des droits sociaux bien au-delà de l’assurance chômage.

 


[1] Ces éléments sont détaillés dans une Note de l’Institut européen du salariat. http://www.ies-salariat.org/combien-de-chomeurs-indemnises-un-taux-de-couverture-au-plus-bas/

[2] Mathieu Grégoire, « Non, M. le Premier ministre : le travail paye toujours plus que le chômage », tribune à paraître

Mathieu Grégoire

Sociologue, membre de l’Institut européen du salariat

Jean-Pascal Higelé

Sociologue, membre de l’Institut européen du salariat

Claire Vivès

Sociologue, membre de l’Institut européen du salariat

Notes

[1] Ces éléments sont détaillés dans une Note de l’Institut européen du salariat. http://www.ies-salariat.org/combien-de-chomeurs-indemnises-un-taux-de-couverture-au-plus-bas/

[2] Mathieu Grégoire, « Non, M. le Premier ministre : le travail paye toujours plus que le chômage », tribune à paraître