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Le jugement de nos ressortissants par l’Irak est contraire au droit international

Avocat, Avocat

Comment juger les Français arrêtés en Irak pour avoir rejoint les rangs de Daesh ? Si les autorités kurdes urgent la France à procéder à leur rapatriement, les autorités françaises préfèrent les confier à la justice d’un pays opportunément reconnu comme étant un État de droit ; au risque d’exposer ses ressortissants à des procès arbitraires et à la peine de mort, allant ainsi à l’encontre de ses engagements internationaux.

Nul ne mésestime les difficultés inédites et complexes que pose le traitement des personnes radicalisées, qui plus est lorsque ces dernières sont parties en zone irako-syrienne. Cependant, le fait de déléguer à des États étrangers la tâche de les juger s’apparente à une solution de facilité, sinon malthusienne. Elle expose, en outre, nos ressortissants à des procès arbitraires mais également à un risque de peine de mort.

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Même si cela peut être parfois déplaisant d’un point de vue moral sinon émotionnellement difficile à accepter, le droit n’a pas à être à géométrie variable et sa cohérence réside notamment dans le principe d’égalité devant la loi qui ne doit souffrir d’aucune dérogation.

Le mercredi 6 mars 2019, Édouard Philippe a affirmé que « les djihadistes français qui ont commis des crimes en Irak et en Syrie ont vocation à être jugés là-bas ». Le Premier ministre a également ajouté « nous ne faisons revenir personne ».

Il est un fait que la position des autorités françaises a constamment oscillé et que si le rapatriement des djihadistes a un temps été envisagé, il n’est pas assumé publiquement aujourd’hui compte tenu, on peut l’imaginer, d’un dernier sondage qui montre que les Français en très forte majorité sont opposés à un tel retour, y compris et ce chiffre est terrifiant en soi, s’agissant des enfants, même en bas âge à une proportion de 67 %.

Comme nous le répétons depuis plusieurs mois s’agissant spécifiquement des épouses et des enfants en Syrie que nous défendons, il n’existe dans les zones contrôlées par les Kurdes strictement aucune juridiction digne de ce nom.

Les autorités kurdes ont au contraire multiplié les appels du pied auprès de la France pour qu’elle organise le retour de ses ressortissants et qu’elle prenne ses responsabilités. La France reste toutefois parfaitement sourde devant ses demandes réitérées et ce sans en expliquer officiellement les raisons.

Les Kurdes manquent cruellement de moyens pour assurer la prise en charge de nos ressortissants et, à l’évidence, ont dû obtenir un minimum de contreparties officieuses de la part de la France pour consentir à ne pas leur ouvrir les portes des camps. Il faut rappeler à quel point leur rôle a été décisif avec la coalition internationale dans la lutte contre Daesh et à quel point aussi ils ont été médiocrement récompensés, c’est un euphémisme, par la Communauté Internationale alors même qu’ils sont sous la menace d’Ankara. La vulnérabilité des Kurdes est aujourd’hui aggravée par le retrait américain, même si les responsables militaires sous cape ne cachent pas qu’ils font tout pour le retarder.

S’agissant des hommes et des femmes capturés en Irak, la France s’en est remise avec volontarisme à la justice irakienne.

La France fait ainsi peser la prise en charge de nos ressortissants sur une communauté d’hommes et de femmes affaiblis et vulnérabilisés, communauté qui a déjà eu à payer un lourd prix dans sa lutte contre le terrorisme.  La position de l’État français est de plus contradictoire avec celle d’autres pays européens dont l’Allemagne, qui a reconnu un droit fondamental au retour des djihadistes allemands.

Seules des considérations éminemment politiques sont de nature à expliquer cette divergence qui ne trouve pas sa justification dans le droit.

S’agissant des hommes et des femmes capturés en Irak, la France s’en est remise avec volontarisme à la justice irakienne, tout en saluant de façon opportuniste le fait que l’Irak était un État de droit. Nous avons vu cette justice à l’œuvre lorsque nous sommes allés assister à Bagdad Mélina Boughedir.

Nous nous étions rendus en Irak en juin 2018. Les avocats et leurs clients n’ont jamais eu accès à l’intégralité du dossier, ne peuvent s’entretenir avec leurs clients au mépris des règles élémentaires qui régissent un procès à minima équitable.

Dans le cas particulier de Mélina Boughedir, le plus déroutant tient à l’absence totale de prévisibilité dans la procédure. Condamnée une première fois à une peine de quelques mois d’emprisonnement mais acquittée pour les charges de terrorisme, elle était sur le point de rentrer en France. La ministre de la Justice Nicole Belloubet avait annoncé, en février 2018, que la France était prête à l’accueillir.

Cette première décision a finalement été annulée par la Cour de cassation irakienne. Le 3 juin 2018, elle a été condamnée à une peine de 20 ans, sur la base du même dossier qui avait conduit à son acquittement. Elle a introduit un nouveau recours sans que nous n’ayons la moindre visibilité sur la date à laquelle il sera examiné et n’avons pas pu nous entretenir avec elle depuis la condamnation. Nulle raison ne doit la priver des droits dont bénéficie tout justiciable.

Les violations des droits de la défense et du droit au procès équitable sont d’autant plus graves que les personnes poursuivies pour des faits de terrorisme sont passibles de la peine de mort que nous prohibons pourtant expressément et entre autres dans notre Constitution. Aux termes de son article 66-1 : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort » et il n’existe aucune clause dérogatoire pour les personnes poursuivies pour terrorisme.

Le fait de soumettre nos ressortissants à un risque de peine de mort en Irak est contraire à nos engagements internationaux.

Selon l’article 1 du protocole no 13 du 3 mai 2002 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances : « La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté. ».

On sait par exemple que si une décision d’extradition soulève un problème au regard de l’art. 3 Conv. EDH – aux termes duquel « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » – l’État contractant peut engager sa responsabilité lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on le livre à l’État requérant, y courra un risque réel d’être soumis à la torture, ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Dès lors, le fait de soumettre nos ressortissants à un risque de peine de mort en Irak est contraire à nos engagements internationaux, alors même que nous aurions les moyens de l’éviter et que la compétence des autorités irakiennes a été décidée et qu’elle n’est pas prioritaire.

La peine de mort a été abolie en toutes circonstances. Cette prohibition concerne aussi bien le prononcé de cette peine que son exécution. Dès lors, le simple fait de soumettre nos ressortissants à un tel risque est contraire à la volonté d’universalité dans l’abolition de la peine capitale.

En tout état de cause, l’on doit s’interroger sur ce qui pourrait fonder la compétence des juridictions irakiennes s’agissant de ressortissants français au seul motif qu’ils auraient été transférés de Syrie en Irak, sans pour autant n’avoir jamais transité par l’Irak.

Une nouvelle fois, c’est une logique strictement court-termiste qui fonde la position de la France, la même logique qui conduit à coller à l’opinion publique, efficacement chauffée à blanc, par les déclarations les plus alarmistes possibles, celles qui dans le verbatim le plus caricatural ont conduit certains de nos représentants parlementaires à évoquer l’existence d’enfants-terroristes.

On doit s’indigner devant l’horrible confusion qui est faite entre le traitement qui doit être celui d’un adolescent de 13 ou 14 ans lourdement radicalisé et un enfant de 6 mois ou de 2 ans. La proximité avec Daesh raisonne donc comme une espèce de gangrène qui infecte tout, y compris les enfants en bas âge, et qui sur son chemin érode les principes les plus fondamentaux.

S’agissant du sort des ressortissants français qui ont été ou seront condamnés en Irak, l’opacité risque de rester de mise pendant des décennies s’agissant des contreparties négociées entre la France et l’Irak.

De la même façon, on est en droit de se demander quelles sont les marges de manœuvre des défenseurs si les conditions de détention apparaissaient de plus en plus ignobles et leur capacité d’obtenir leur transfert pour exécution de leur peine vers la France.

Tôt ou tard, nos ressortissants auront vocation à rentrer. Nous ne connaitrons jamais véritablement les raisons de leur condamnation en Irak et nous n’aurons pas pu les accompagner dans le traitement carcéral qui aura été le leur, c’est-à-dire dans des unités dédiées s’ils avaient été jugés en France.

Enfin, l’escamotage par la France de ses responsabilités conduit à un étrange paradoxe, il y aura demain en France des représentants des parties civiles et donc des victimes qui vont s’indigner ainsi qu’on les prive d’un face à face avec le suspect des crimes commis contre leurs ayant-droits. Il y aura sans doute, et déjà à bas bruits on le sait, des responsables des services français qui s’étrangleront publiquement devant le fait qu’on les prive ainsi d’une source de renseignements qui pourrait être décisive dans la compréhension d’un puzzle dont les pièces manquantes font défaut parfois gravement.

Ainsi au regard du droit, et du bon sens à long terme, le jugement en France de nos ressortissants s’impose. La règle de droit ne peut et ne doit jamais rejoindre celle de l’émotion.

 


William Bourdon

Avocat, Barreau de Paris

Vincent Brengarth

Avocat, Barreau de Paris