PMA pour toutes : une nouvelle hiérarchie des filiations
Dans cette troisième révision des lois bioéthiques, la question de la procréation médicalement assistée (PMA) est devenue le principal thème du débat public. Cette technique permettant la reproduction sans sexe fut mise en place il y quarante-et-un ans par les gynécologues Patrick Steptoe et Robert Edwars qui ont permis la naissance, en 1978, de Louise Brown premier « bébé éprouvette ».
Quatre ans plus tard naissait Amandine, premier bébé issu d’une PMA dans l’Hexagone. Réservée aux couples hétérosexuels en France, la PMA est accessible aux femmes célibataires en Espagne depuis 1988 et aux couples lesbiens depuis 2006 tout comme aux Pays-Bas depuis 2002, au Danemark depuis 2006, au Royaume-Uni depuis 2008, en Belgique depuis 2007, au Portugal depuis 2016, ou encore en Suède depuis 2015. Face aux restrictions de la législation française, les personnes exclues de la PMA n’hésitent pas à chercher hors l’Hexagone la possibilité de concevoir un enfant, poussant ainsi les juridictions nationales dans leurs retranchements et provoquant du même coup l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme.
En affirmant, dans un arrêt de 2014, que le recours à l’assistance médicale à la procréation à l’étranger, par insémination artificielle avec donneur anonyme, ne fait pas obstacle à ce que l’épouse de la mère puisse adopter l’enfant ainsi conçu, la Cour de cassation a facilité l’intervention du législateur. Avec la prochaine réforme, la PMA sort du registre de la santé publique pour s’installer dans une dimension civile. Ce changement correspond à une nouvelle « nature » de cette technique laquelle ne trouve plus son fondement dans une pathologie mais dans un projet parental individuel ou d’un couple de femmes. D’un acte médical, la PMA devient ainsi une liberté positive juridiquement reconnue (celle de procréer avec l’aide de la technique) protégée de surcroit par la Convention européenne des droits de l’homme[1].
L’élargissement de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes, la suppression du critère d’infertilité tout comme son remboursement par la Sécurité sociale jusqu’à l’âge de 43 ans, constituent, à ne pas en douter, une avancée politique et sociale incontestable. En revanche, la manière d’établir la filiation pour les couples de femmes soulève un certain nombre de réserves.
Nous sommes passés de l’obligation d’anonymat au devoir de transparence, sans tenir compte de l’intérêt de l’enfant
Si aujourd’hui la plupart des PMA s’effectuent avec les gamètes du couple, dans le cas des lesbiennes, le don de cellules sexuelles ou d’embryon par un tiers est indispensable. Certes, les enfants ainsi conçus n’auront pas une filiation établie avec le donneur mais l’inscription du don dans l’acte de naissance suscite plusieurs inquiétudes. Le projet de loi crée d’ores et déjà deux catégories d’enfants : ceux nés « naturellement » (ou par vraisemblance biologique) et ceux nés au sein d’un couple de femmes grâce à un don.
Il faut revenir aux années 70 pour trouver dans le code civil une différenciation des filiations : celle relative aux enfants nés hors mariage (enfant naturel) et dans le mariage (enfant légitime). Comme dans le passé, les enfants seront classés à l’avenir (si le projet est adopté dans l’état) non pas en fonction du mariage mais en fonction de l’orientation sexuelle du couple parental. Tandis que pour les parents hétérosexuels mariés continuera de s’appliquer la règle de la présomption, pour les couples des femmes se mettra en place un régime d’exception : la déclaration anticipée de volonté.
Contrairement aux couples hétérosexuels pour lesquels la filiation s’établit automatiquement s’ils sont mariés ou par déclaration de paternité devant l’officier d’état civil s’ils ne le sont pas, pour les couples lesbiens, même mariées, il faudra procéder à une reconnaissance anticipée devant notaire, laquelle apparaît dans les actes de l’état civil de l’enfant. Le gouvernement suit ici la proposition du Conseil d’État : « Cette option préserve le cadre actuel de l’établissement de la filiation pour les couples composés d’un homme et d’une femme et leur liberté de choix de révéler ou de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception. ».
La liberté de gérer l’information sur l’origine de la filiation est donc réservée aux couples hétérosexuels lesquels peuvent continuer à bénéficier de la présomption de paternité grâce à la vraisemblance biologique. En revanche, l’État obligera les couples de femmes à révéler à l’enfant son mode de conception, dans les meilleurs des cas, ou, dans le pire, il le découvrira par hasard en consultant la copie intégrale de son acte de naissance. Nous sommes ainsi passés de l’obligation d’anonymat au devoir de transparence, sans tenir compte de l’intérêt de l’enfant. Ce système crée de surcroit une distinction au sein d’une même fratrie entre les enfants issus d’un don et ceux conçus sans donneur.
La levée partielle de l’anonymat des donneurs, l’accès aux origines biologiques et la mention de la forme de procréation dans l’acte de naissance constituent désormais la condition sine qua non pour accéder à la PMA. Ce traitement différencié n’affecte pas seulement les adultes, mais aussi les enfants : dorénavant, ceux issus d’une PMA hétérosexuelle ou d’une PMA individuelle auront moins de chance de connaître leurs origines que les autres. La question de l’accès aux origines me semble effectivement légitime, mais il faut alors qu’elle soit clairement dissociée de la filiation : la traiter dans ce projet de loi n’est nullement innocent.
Derrière chaque famille lesbienne se cache la figure masculine « rassurante » du géniteur
Pour expliquer cette exigence de transparence, cette forme d’immixtion de l’État dans la vie privée des couples lesbiens, il faut procéder à un détour historique. En effet, depuis le débat sur le Pacs, l’homoparentalité hante le droit civil de la famille et la manière de répondre à ce qui est considéré comme une forme trop atypique de parenté – trop éloignée de la nature – détermine le choix du gouvernement. Cette régression du droit civil de la filiation est le résultat d’un long combat idéologique favorisé par une expertise conservatrice et cristallisée aujourd’hui dans le projet de loi. Il ne s’agit plus de brandir les arguments conservateurs de la Manif pour tous (« Un papa, une maman », « Papa, Maman, on ne ment pas aux enfants »…), mais de préserver « l’ordre symbolique de la différence des sexes », pour reprendre la vulgate anthropo-psychanalytique qui a colonisé le droit civil de la filiation. Autrement dit, pour pouvoir intégrer une famille homoparentale, la loi doit garantir préalablement l’accès à la vérité biologique de l’engendrement.
Ce combat pour désigner (implicitement) dans la loi la nature homosexuelle de la filiation aura comme conséquence non seulement d’imposer une figure masculine au sein du couple lesbien mais aussi d’aggraver la pénurie des gamètes, car à l’avenir le donneur de sperme devra renoncer à l’anonymat (au moins partiellement) et les premières à payer le prix seront les femmes.
Pour contrer cette nouvelle forme de discrimination, la plupart des codes civils modernes interdissent explicitement l’indication dans l’acte de naissance de l’origine de la filiation. Ainsi, l’article 559 du code civil argentin établit que « l’officier d’état civil doit rédiger l’acte de naissance de telle sorte qu’il ne soit pas indiqué que la personne est née hors mariage, qu’elle est adoptée ou qu’elle est issue d’une technique de reproduction assistée ». De même, l’article 7.2 de la loi espagnole 14/2006, prescrit que « d’aucune manière, l’inscription dans les registres de l’état civil ne pourra faire apparaître des données à partir desquelles il puisse se déduire le type de procréation ». D’autres pays comme la Belgique, le Canada ou le Royaume-Uni ont tout simplement appliqué la règle de la présomption de co-parenté pour permettre l’établissement automatique de la maternité de la conjointe de la mère. En dehors du mariage, le consentement à la PMA impliquerait une reconnaissance de la filiation.
« À chacun sa famille, à chacun son droit », soulignait Jean Carbonnier dans son célèbre Essai sur les lois (1979) pour encourager le législateur à adapter le droit à l’évolution des mœurs. À cette vision du droit au service des individus et de leur manière de faire famille, le projet de loi bioéthique oppose une conception biologisante de la filiation. En imposant symboliquement la figure du mâle donneur de sperme aux couples des femmes, le projet de loi consacre la figure symbolique de la famille hétérosexuelle reproductrice comme structure à la fois individuelle et sociale : derrière chaque famille lesbienne se cache la figure masculine « rassurante » du géniteur.
De surcroit, cette dérogation du droit commun de la filiation pour les couples de femmes risque de devenir la règle. Comme le note l’étude d’impact du projet de loi du 29 juillet 2019 : « Cette exigence pourrait conduire à repenser le droit de la filiation non seulement au regard de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, mais également au regard du droit de tous les enfants issus d’un don à connaître leurs origines, ce qui de facto ne limiterait pas l’adaptation du droit de la filiation aux seuls enfants nés au sein d’un couple de femmes, mais amènerait également à inclure dans la réflexion tous les enfants issus d’un don, qu’ils soient nés dans un couple hétérosexuel, dans un couple de femmes, ou d’une femme seule ».
Comme le soulignent les spécialistes du droit de la famille, « derrière l’accès aux origines, se reconstitue un ersatz ou un dérivé de filiation puisant sa force dans l’élément biologique, et qui risque bien d’être revendiqué un jour sur le terrain même de la filiation »[2]. En ce sens, la Cour suprême d’Australie a reconnu cette année, dans l’affaire Masson v. Parsons, la paternité du donneur de sperme.
Le projet de loi va refonder la filiation homoparentale sur la base de la vérité des origines
La filiation est, depuis le droit romain, une construction sociale dans laquelle le sang, la volonté et les présomptions constituent la trame permettant de tisser la parenté. Dorénavant, celle-ci devrait se fonder sur un invariant d’un type nouveau : le droit de connaître la vérité sur sa conception. Dès lors qu’elle est inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant issu d’un couple de femmes, le principe d’égalité est atteint. La justification de la vraisemblance biologique, invoquée par le Conseil d’État ne me semble pas en mesure de résister le contrôle constitutionnel. Il est ainsi probable que l’inscription du don à l’état civil soit élargie, au nom de l’égalité, à l’ensemble des couples ce qui produira un véritable bouleversement du droit de la filiation laquelle serait conçue désormais davantage comme un événement naturalisable (l’accès aux origines) que comme l’expression de la volonté individuelle ou de celle du couple (le projet parental).
Grâce à la loi permettant l’adoption pour les couples de même sexe, le droit ne peut plus faire comme si les parents d’intention coïncidaient avec le couple procréatif comme c’était le cas lorsque seulement les couples hétérosexuels pouvaient adopter. Mais, plutôt que d’assumer la dimension conventionnelle de la filiation et considérer que c’est la volonté qui fonde l’ordre parental pour tout le monde, le projet de loi va refonder la filiation homoparentale sur la base de la vérité des origines. Cette même logique permettra sans doute demain d’aller plus loin en abandonnant la notion de vraisemblance biologique (considéré comme mensongère) pour les usagers hétérosexuels de la PMA avec donneur au profit de la vérité des origines. Ainsi, le droit n’aurait plus besoin de la vraisemblance biologique pour construire le nouvel ordre de la parenté, la vérité de l’engendrement lui permet d’ancrer la filiation sans ambiguïté dans une assise génétique.
Loin d’être bannie (comme à l’époque du Pacs), l’homoparenté joue désormais un rôle capital dans le nouveau dispositif. Elle devient ainsi la « fiction raisonnable » contre les « mensonges » de la PMA et de l’adoption plénière hétérosexuelles. L’homoparenté constitue de ce fait une « fiction crédible » puisqu’incapable de gommer les origines. L’association de la question des origines biologiques à la filiation et à la parentalité n’est nullement fortuite. Rapprocher la question de l’engendrement d’une réforme de la PMA dévoile cette entreprise consistant à établir une sorte de « filiation de souche » qui renvoie à la reproduction, tandis les autres formes de filiation viendraient s’ajouter, une fois établie dans la loi ce « nécessaire » arrière-plan biologique grâce à la levée de l’anonymat et à l’inscription du don dans l’acte de naissance.
Plutôt que de créer un mode de filiation par déclaration anticipée, je propose de suivre le modèle catalan : depuis la loi du 29 juillet 2010, tous les couples, mariés ou non, de même sexe ou de sexes différents ayant recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur sont soumis au même régime : l’enfant est celui de la femme qui accouche et de l’homme ou de la femme qui a consenti expressément avec elle à la PMA. La présomption de paternité est ainsi abandonnée pour le mari, lorsqu’il y a recours à cette technique avec tiers donneur. Enfin, concernant le don de gamètes, c’est aux parents de gérer cette information. L’État n’a pas à interférer dans une décision relevant de la vie privée. Exiger la transparence me semble aussi insupportable qu’imposer le secret.