Climat : l’Académie des Sciences sonne l’alarme
Notre planète se réchauffe, l’acidité des océans augmente, la sècheresse sévit par-ci et les pluies torrentielles par-là, les forêts prennent feu, les glaciers disparaissent, la mer monte, la biodiversité recule… La Terre que nous connaissions bascule brusquement vers un état qu’elle n’a jamais connu depuis un million d’années, longtemps avant l’apparition de l’homme moderne (il y a 200 000 ans) et celle de l’écriture (environ 5500 ans).
Exagérément alarmiste, tout cela ? Malheureusement non. Dans leur dernier rapport, les climatologues ont démontré que si l’on ne change pas immédiatement nos modes de production et de consommation d’énergie, le réchauffement climatique risque d’atteindre 5 à 7 °C de plus en 2100 qu’à l’époque préindustrielle. Et même en prenant dès maintenant des mesures radicales, la pollution est déjà telle dans l’atmosphère qu’il sera pratiquement impossible de limiter le réchauffement à moins de 3°C.
Or quelques degrés de plus, cela bouleverse notre environnement. Songez que la température augmente beaucoup plus sur les continents qu’au milieu des océans, donc une augmentation de 3°C en moyenne, cela signifiera au moins 5°C au cœur des continents ; lors de vagues de chaleur comme en 2003, les thermomètres risquent fort de dépasser les 50°C au sud de l’Europe, de quoi chasser les populations et exterminer de nombreuses espèces vivantes.
Peut-être pensez-vous qu’il n’y a pas de quoi s’alarmer puisqu’on a signé l’accord de Paris, en 2015 ? Certes, tous les pays avaient promis de prendre des mesures ambitieuses mais, quatre ans plus tard, les transports, l’habitat, l’activité industrielle et agricole émettent toujours plus de « gaz à effet de serre », ces gaz comme le dioxyde de carbone CO2 et le méthane CH4 qui sont responsables du réchauffement climatique.
Dénoncer la politique du président américain n’est pas une raison suffisante pour ne rien faire nous-mêmes.
Je n’ignore pas que le problème du réchauffement climatique est aussi politique puisqu’il exige une solidarité à tous les niveaux. Or cette solidarité est loin d’exister. En niant l’existence de ce réchauffement, Donald Trump a par exemple décidé de sortir les États-Unis de l’Accord de Paris. Au lieu d’accélérer la diminution de leurs émissions de CO2, les États-Unis les ont augmentées de 3.1% en 2018 (voir ici) ; d’autre part, la contribution des États-Unis au Fonds Vert a diminué. Ce fonds international doit aider les pays en développement à produire de l’énergie propre, ce qui coûte cher.
On estimait donc l’aide nécessaire à 100 milliards de dollars par an pour commencer. Or en 2017, les États-Unis ont réduit leur contribution à 1 seul milliard. Quand je songe qu’une très petite taxe de 0,1% sur les transactions financières (1 600 000 milliards de dollars par an) rapporterait 1600 milliards de dollars par an ! On pourrait, en somme, financer ce Fonds Vert en ne prélevant que 0,01% des transactions du marché financier…
Mais dénoncer la politique du président américain n’est pas une raison suffisante pour ne rien faire nous-mêmes. Au contraire, à la suite de l’accord « de Paris », nous avons le devoir de montrer l’exemple, de démontrer qu’il est possible de supprimer nos émissions de gaz à effet de serre en quelques décennies. Or, pour l’instant, les pays développés comme la France sont loin de faire le nécessaire et notre Haut Conseil pour le Climat l’a bien remarqué dès son premier rapport.
À ce stade d’analyse, il faut revenir à la réalité concrète. Ces problèmes sont complexes et parmi les solutions il y en a d’efficaces et réalistes mais beaucoup d’autres qui manquent de rigueur. Nous avons besoin d’aide, celle des chercheurs, ingénieurs, économistes, enseignants et responsables politiques qui y travaillent. En plein débat, l’Académie des sciences les invite donc à un grand colloque le 28-29 janvier 2020. De fait, ce colloque s’adressera autant au grand public qu’aux journalistes, aux responsables politiques ou économiques et aux jeunes étudiants ; tous pourront préciser leur appréciation des problèmes et de leurs solutions.
L’énergie est la source du développement économique mais nous la gaspillons dans des proportions inacceptables
Quoi qu’il advienne, on ne pourra pas revenir en arrière, il faudra s’adapter au réchauffement en cours et trouver des solutions efficaces que nous puissions mettre en œuvre non seulement dans nos pays développés mais aussi dans les pays en voie de développement.
Un mot de plus sur la fonte des glaciers. Celle de la banquise flottante du pôle Nord augmente l’absorption du rayonnement solaire donc le réchauffement général. Celle des glaces continentales au Groenland, en Antarctique et dans nos montagnes fait monter le niveau des mers et menace les réserves d’eau qui alimentent l’agriculture l’été. Quant à la fonte des terres gelées au nord de la Sibérie et du Canada, elle va libérer d’énormes quantité de gaz polluants et accélérer encore le réchauffement de manière irréversible.
Venons-en donc aux solutions possibles[1]. Il ne suffit pas d’annoncer des objectifs, par exemple une neutralité carbone en 2050 ou un souhait de protéger l’environnement : encore faut-il mettre en œuvre des solutions rationnelles et efficaces dans un esprit solidaire du niveau individuel au niveau international.
L’énergie est la source du développement économique mais nous la gaspillons dans des proportions inacceptables, ne serait-ce qu’en habitant ou en travaillant dans des logements qui sont mal isolés thermiquement. Qu’il s’agisse d’économiser le chauffage l’hiver ou la climatisation l’été, il faut isoler les murs, les fenêtres, les toitures et les sols. En France, l’habitat est responsable d’environ un tiers de la consommation totale d’énergie. Si c’était seulement de l’électricité décarbonée cela ne contribuerait pas au réchauffement climatique. Mais c’est loin d’être le cas.
Or l’isolation complète d’un seul logement coûte environ 20 000 €, une somme que de très nombreuses familles sont très loin de pouvoir investir. Isoler 30 millions de logements coûterait 600 milliards d’euros, 20 milliards par an pendant 30 ans, ce qui demanderait une aide publique considérable. Même si on diminue l’énergie nécessaire pour chauffer ou climatiser, le besoin d’électricité propre va augmenter.
Un tiers d’énergie pour l’habitat, mais encore plus pour le transport. Là aussi on peut faire des économies mais il faut surtout cesser de consommer l’essence, le pétrole et le gaz naturel, qu’il s’agisse de voitures individuelles, de camions, de trains et d’autobus, de transport maritime et de transport aérien. Il faut électriser tout cela à grande échelle, ce qui pose des problèmes de batteries, donc de ressources en cobalt, qui ne sont pas résolus. Électrifier les cargos et les avions parait très difficile dans l’état actuel des technologies ; il faut donc cesser d’importer notre consommation du monde entier et aussi de prendre l’avion pour faire des sauts de puce. Quoi qu’il en soit, il va falloir beaucoup plus d’électricité décarbonée, dans ce secteur aussi.
Parmi les autres gros émetteurs de gaz à effet de serre, il y a l’industrie qui devra électrifier sa consommation d’énergie, et l’agriculture où l’utilisation d’engrais et l’élevage émettent beaucoup de méthane et d’oxyde d’azote.
Donc on aura beau faire des économies, il faudra, au moins à mon avis mais on en discutera, plus d’électricité, pas moins comme le prétendent certains scénarios proposés. Parmi ces scénarios, certains parlent d’un 100% renouvelable c’est-à-dire d’une électricité entièrement produite par l’hydroélectrique, l’éolien, le solaire, le bois à condition de replanter tous les arbres qu’on coupe, et peut être des biocarburants à condition de ne pas provoquer une pénurie de denrées alimentaires. Cela ne me paraît pas réaliste.
L’hydroélectrique est quasiment idéal : propre et pilotable. Attention tout de même aux accidents ; les ruptures de barrages ont fait beaucoup plus de morts que les accidents de centrales nucléaires, par exemple le barrage de Malpasset (France, 423 morts après des pluies torrentielles en 1959), celui de Banqiao (Henan, Chine, entre 26000 et 100 000 morts en 1975), celui de Machchu (Inde, entre 1800 et 15000 morts en 1979) et beaucoup d’autres.
Par ailleurs, il n’y a pratiquement plus de sites disponibles pour de nouveaux grands barrages en France. Quant aux petits barrages, beaucoup de gens s’opposent à leur construction pour des raisons environnementales bien qu’à mon avis les barrages soient souvent utiles pour l’irrigation et pour pallier les fluctuations de la production ou de la consommation.
L’éolien et le solaire paraissent propres mais ils ne fonctionnent que quand le vent et le soleil le veulent bien, ils sont « intermittents ». D’autre part ils ne sont pas aussi bon marché que certains le croient : la France subventionne l’installation de « renouvelables électriques » comme l’éolien et de photovoltaïque grâce en particulier à la CSPE qui figure sur toutes nos factures. D’après la Cour des Comptes, le total des subventions aux EnR atteint 5,5 milliards par an en 2019 et doit monter à 7,5 milliards en 2023, plus qu’il n’en faudrait pour construire un réacteur EPR tous les deux ans.
Les éoliennes s’arrêtent automatiquement s’il y a trop de vent et s’il n’y en a pas assez. En moyenne, leur puissance est 5 fois moins grande que leur puissance nominale qui correspond à une vitesse idéale de 43 km/h. Si on savait comment stocker l’électricité en grandes quantités, cette intermittence ne serait pas un problème, mais nos barrages réversibles, comme celui de Grand’Maison, ne produisent qu’environ 10% de l’énergie hydro-électrique française, donc 1% de la puissance électrique totale.
Construire d’énormes quantités de batteries ? Les batteries lithium-ion sont parfaites pour nos ordinateurs et autres téléphones portables mais elles poseraient d’insolubles problèmes de ressources en métaux rares si on en généralisait l’utilisation par exemple dans les parcs automobiles. Les panneaux photovoltaïques qui convertissent directement l’énergie solaire en électricité souffrent du même problème d’intermittence. Si les électro-chimistes inventaient de batteries utilisables à une très large échelle, cela changerait radicalement le problème d’intermittence des renouvelables.
Quelques mots du solaire thermique : c’est très bien adapté aux pays très ensoleillés parce qu’en concentrant le soleil sur des fluides caloporteurs qui restent chauds assez longtemps, on y produit de l’électricité même la nuit. La centrale thermique marocaine Noor III a été construite avec l’aide financière de l’Europe, c’est un exemple à suivre.
Et le nucléaire ? Car il produit lui aussi de l’électricité décarbonée. Actuellement en France, l’électricité provient d’environ 72% de nucléaire, 10% d’hydroélectrique, 4% d’éolien, 2% de solaire photovoltaïque, et seulement 10% de gaz, fioul ou charbon. En conséquence, produire 1 kWh d’électricité n’émet que 79g de CO2. En Allemagne, malgré la construction d’un très gros parc d’éoliennes, on a fortement recours au charbon et même au lignite, ce qui porte les émissions à 461g/kWh.
C’est pourquoi je pense que le nucléaire est utile en France, mais je suis prêt à en discuter toujours davantage. Pourquoi ? Contrairement aux renouvelables intermittents, le nucléaire est pilotable donc adaptable aux fluctuations de la consommation et aussi à celles des renouvelables. En arrêtant la moitié de ses centrales nucléaires, l’Allemagne s’est obligée à acheter de l’électricité française mais cela ne suffit pas à lisser sa production éolienne ; elle est donc obligée de construire aussi de nombreuses centrales à charbon ou pire, au lignite.
La solidarité exige une prise de conscience générale, donc une éducation précoce et une information rigoureuse.
Toutefois je ne prétends pas pour autant que le nucléaire soit idéal. Il pose trois problèmes principaux que notre conférence abordera sans concession : sa sûreté, ses déchets et son coût. Il me semble que la sûreté est bien assurée en France grâce à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), un organisme indépendant et rigoureux dont les exigences ont rendu impossibles des accidents de type Tchernobyl ou Fukushima. Le réacteur de Tchernobyl était instable par construction, et ceux de Fukushima au bord de l’eau sans être suffisamment protégés contre les tsunamis.
Pour ce qui est des déchets, les multiples analyses effectuées pour choisir un site d’enfouissement extrêmement stable me paraissent convaincantes. D’autre part, la quatrième génération de réacteurs, dits « à neutrons rapides » pourrait transformer l’essentiel des déchets en combustibles.
Quant au coût de construction de l’EPR de Flamanville (12 milliards) il est effectivement important, même pour une tête de série, mais pas autant que beaucoup le croient si on le compare aux coûts de construction de milliers d’éoliennes et des centrales pilotables qui doivent pallier leur intermittence. A ce propos, l’électricité est deux fois plus chère en Allemagne qu’en France.
Serait-il donc possible de capturer puis d’enfouir le CO2 émis par l’utilisation de combustibles fossiles, en somme de le renvoyer d’où il vient ? Bonne question. Réponse difficile. Aujourd’hui 19 opérations commerciales ne captent que 40 millions de tonnes (Mt) de CO2 par an et on n’a injecté que 230 Mt dans le sous sol alors qu’il en faudrait 94000 Mt d’ici 2050. Alors, comment faire ? La méthode la moins discutable est d’interdire la déforestation car les forêts absorbent un quart des émissions mondiales de CO2 chaque année. Cette déforestation sert principalement à la production de biocarburants.
Une revue aussi rapide est loin de couvrir l’ensemble des problèmes que soulève la nécessaire transition énergétique. La solidarité exige une prise de conscience générale, donc une éducation précoce et une information rigoureuse à une époque où les réseaux sociaux rendent facile la diffusion de fausses nouvelles et de propagande mensongère. D’autre part, des efforts financiers importants exigeront une répartition équitable. Voilà qui dépasse largement les sciences exactes et la technologie.
Enfin, ce que j’ai écrit ci-dessus n’est que mon opinion d’aujourd’hui. Je vais continuer d’écouter mes collègues et confrères et je m’attends à préciser en janvier mon estimation des différentes solutions à apporter au réchauffement climatique. Faites-en autant, venez ! Et s’il n’y a plus de places libres, ce sera accessible sur Internet.